Dans l’Afrique post-coloniale, les élites prédatrices, parasitaires et corrompues qui ont remplacé les colons au pouvoir, tout en continuant à être aux ordres des anciens maîtres, se sont lancés dans une course effrénée à l’accumulation insolente de richesses volées à leurs peuples. Ainsi, cette bourgeoisie bureaucratique associée à des milieux d’affaires locaux et étrangers ont partout ruiné les Etats, appauvris, surendettés et dans l’impasse totale. Pendant que les classes dominantes se vautrent dans un luxe insolent et exportent massivement des capitaux, les peuples africains sont réduits à la misère extrême et parfois au désespoir.
Le modèle le plus achevé de cette catastrophe est le régime criminel du maréchal Mobutu Sese Seko, jeté à terre par la rébellion de l’AFDL en mai 1997. C’est bien pourquoi, il est très tôt apparu aux patriotes africains sincères, décidés à faire respecter la sacralisation du bien public, que la lutte pour la renaissance de l’Afrique devait d’abord commencer par la faculté donnée aux peuples de contrôler les agissements de leurs élites gouvernantes ou associées à elles. Pour cela, il fallait imposer à tous les gestionnaires et détenteurs d’un pouvoir de décision, du sommet à la base, l’obligation de déclarer leur patrimoine à l’entrée et à la fin de la fonction.
C’est au capitaine Thomas Sankara qu’est revenu le premier, l’honneur de déclarer son patrimoine. Il lui en coûtera la vie, tant l’exemple était insupportable et mal venu pour des chefs d’Etat voisins corrompus et décidés à continuer leur sale besogne. Pour notre part, avec de grandes difficultés, nous avions réussi à mettre la déclaration des biens en bonne place dans l’Accord politique global inter-guinéen entre les Forces Vives et le CNDD en 2009.
Ce texte n’a jamais été signé et on comprend pourquoi…Au CNT en 2010, notre représentant Aboulay Juntu Diallo s’était battu comme un lion avant de réussir à imposer l’inclusion de cette disposition capitale dans la nouvelle constitution. Personne n’en voulait, mais personne n’était assez courageux pour s’y opposer ouvertement, tant les choses étaient claires ! Arriver au pouvoir pour servir le peuple ou se servir ?
Pour joindre le geste à la parole et pour donner l’exemple, en tant que candidat aux élections présidentielles de 2010, nous avions déposé notre déclaration de patrimoine à la Cour Constitutionnelle, qui ne savait quoi en faire…Bien entendu, personne d’autre n’a jamais relevé le défi. Dès après l’arrivée du candidat élu Alfa Kondé à la présidence, nous avons rappelé l’obligation constitutionnelle de la déclaration des biens. C’était nos premiers différends avec lui et son pouvoir. Pendant toute la durée de son règne, nous n’avons cessé de rappeler cette obligation dont le non-respect constituait la plus grande violation de la Constitution, bien avant même le troisième mandat.
Contre vents et marées, nous avons maintenu notre position, pendant que tous se taisaient, cette question n’intéressant personne d’autre sur l’échiquier. Devant la forte pression, les autorités ont fait savoir tardivement qu’il n’y avait pas de texte d’application et que les études étaient en cours… Péniblement, un texte a enfin été pris à cet effet le 13 novembre 2020 (Décret 286/PRG/SGG).
Des fuites ont été organisées par le pouvoir prétendant que certains ministres avaient bien fait leur déclaration des biens. Des voix se sont élevées pour applaudir. Sauf que c’était de la pure tromperie car aucune déclaration de biens n’a jamais été publiée au Journal officiel, comme le prescrit la loi. A la vue des dossiers de détournements monstres qui s’accumulent en ce moment à la CRIEF, on comprend pourquoi cette disposition était ignorée par tous, du premier au dernier responsable concerné.
En matière de corruption, de détournement de deniers publics, de braderie de la richesse du pays, la Guinée de 2021 ne pouvait être comparée qu’au Zaïre de sinistre mémoire. Dès la prise du pouvoir par le CNRD et après la sortie de la Charte de la Transition, nous n’avions pas manqué de relever cette absence curieuse de toute référence à la déclaration des biens, surtout venant de gens qui disent être venus pour débarrasser la Guinée des fléaux qui ont plombé son développement économique, social et culturel depuis pratiquement l’indépendance en 1958 et qui ont nourrit de graves inégalités sociales.
Là aussi, obstinément, la junte au pouvoir refuse catégoriquement de se conformer aux textes, pourtant toujours en vigueur. Sans être dans le secret des dieux, il est permis de se poser la question sur les motifs réels du vidage de l’ancienne ministre de la justice Maître Yari Sumah, qui, justement avait la fâcheuse habitude d’évoquer le sujet en conseil des ministres. On ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu! Nous sommes heureux de constater qu’aujourd’hui, qu’après l’UFD, pratiquement toute la classe politique et la société civile font de ce principe élémentaire de bonne gouvernance, une exigence non négociable. A cette revendication de respect de la loi, et pour toute réponse face aux critiques, le CNRD a sorti le serment sur les livres saints, comme si l’Etat de droit en Guinée pouvait reposer sur l’engagement religieux des citoyens ! Un juron sur la Bible ou le Coran peut-il empêcher un prédateur d’agir ?
Le plus pitoyable est cette affirmation incroyable d’un des plus hauts responsables de la Transition, selon laquelle « il n’existe pas de texte régissant la déclaration des biens », alors que toutes les lois et règlements pris avant le 5 septembre 2021 ont été reconduits, jusqu’à modification. Dans beaucoup d’Etats africains, les dirigeants, acceptant de se soumettre au contrôle du peuple ont fait humblement leur déclaration des biens. C’est une norme incontournable de la bonne gestion du bien public qui s’est imposée dans tous les Etats engagés sur la voie de la justice et du progrès. En Guinée, il est temps que cesse la plaisanterie. Le peuple exige que ses dirigeants soient totalement transparents quant à leur patrimoine visible ou dissimulé et acceptent enfin de se soumettre au contrôle des institutions. Les proclamations de bonnes intentions ou les jurons ne peuvent en aucun cas remplacer la loi qui est très claire. Qui a quelque chose à cacher ? Le peuple n’est pas dupe. La vérité finira toujours par éclater. A bon entendeur salut. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Conakry le 6 septembre 2022
Mamadou Baadiko BAH Président de l’UFD