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« … l’année 2022/2023 sera extrêmement difficile, faute d’intrants agricole… » dixit l’opposant Mamadou Baadiko Bah

Mamadou Baadiko Bah, le Président du parti Nouvelles Forces Démocratiques (NFD) a accordé cette interview à nos confrères du Africa Guinée. Lisez ci-dessous 

Question 1 – Pour commencer, parlons de l’économie guinéenne en général : comment la voyez-vous ?
Réponse – Vaste question ! Vous le savez, de larges couches de la population se plaignent, avec raison, des difficultés croissantes à avoir le minimum pour simplement survivre. Une forte inflation généralisée frappe durement les ménages. Les commerçants se plaignent que les affaires ne marchent pas ; justement puisque le pouvoir d’achat des consommateurs baisse continuellement. Comme on dit vulgairement : « l’argent est rare !». En fait, le phénomène n’est pas nouveau. Depuis l’explosion de la pandémie du Corona virus début 2020, c’est toute l’économie mondiale qui est durement secouée. La guerre en Europe a fait le reste… Les cours des denrées agricoles, de l’énergie et même du fret maritime ont explosé. Et comme vous le savez, la Guinée a une économie totalement tournée vers l’extérieur, non diversifiée, esclaves que nous sommes depuis 1958, de la « monoculture » minière. Nous importons la plus grande partie de ce que nous consommons et ne produisons que de minéraux bruts bazardés à vil prix, sans la moindre valeur ajoutée locale. Et donc dès qu’un choc se produit à l’extérieur, nous le ressentons avec des effets démultipliés. Lorsque vous avez une inflation en moyenne de 12% l’an depuis 2020 dans les pays d’où nous importons nos biens de consommations et notre nourriture (blé et riz notamment), l’effet négatif cumulé en ce moment sur nous, dépasse les 40%. Le fret d’un conteneur 20 pieds à partir de la Chine par exemple, notre gros fournisseur en tout, a été multiplié par 3 depuis trois ans, passant de 2500 dollars US à 7500 en ce moment ! Parfois même le fret est plus élevé que la marchandise transportée elle-même ! Et comme nous le verrons, l’appréciation du Franc guinéen par rapport aux principales devises de l’ordre de 18%, n’a pas suffi à amortir le choc.

Si vous ajoutez à cela, la mise en route progressive depuis 2019, sous la houlette des bailleurs de fonds, des réformes des régies financières, notamment la douane, avec la digitalisation, les droits et taxes à l’import sont actuellement perçus au tarif normal, ce qui est une bonne chose au plan économique. Le commerçant ne rognant jamais sa marge, répercute tous les coûts sur le consommateur. Il faut que le Guinéen paie le prix réel de ce qu’il consomme. La vérité des prix est un impératif du développement économique et social. Les subventions pour raisons sociales pour soulager les couches les plus défavorisées, doivent être bien étudiées et instituées de façon transparente et contrôlée.
Avant, tout ce beau monde s’entendait, chaque acteur de la chaîne de l’import y trouvant son compte, car les droits de douane étaient réduits. Il est important que nous ayons tous conscience de ce coût réel écrasant pour l’économie de ces importations massives où au lieu d’industrialiser notre pays on se complait dans la facilité, en nous ruinant et en faisant marcher à merveille l’économie de nos fournisseurs extérieurs. Avec une économie extravertie comme la nôtre, les termes de l’échange seront toujours désavantageux pour nous.

Cette situation était de toute façon intenable et il faut en sortir. On peut dire qu’avant, ces droits de douane dérisoires, alimentaient la corruption et l’enrichissement illicite. L’Etat guinéen subventionnait ainsi largement les produits de consommation importés pour les masses urbaines, au détriment des couches les plus défavorisées, surtout à la campagne. C’est aussi au détriment de l’investissement productif, seul créateur véritable d’emplois et de richesses. Certains disent que les prix ont augmenté à cause de la douane, la réalité est bien plus complexe…La grande différence est qu’actuellement on acquitte au cordon douanier les droits réels, avec très peu de possibilités de minoration.

Pour être juste, il faut dire que ce n’est pas la Transition du CNRD qui est responsable de cette situation. La clé de notre salut est de nous appuyer sur nos points forts : l’agriculture, l’élevage et la pêche ; pour réaliser une transformation structurelle radicale de notre économie. Or, à cet égard justement, hélas il faut souligner que l’année 2022/2023 sera extrêmement difficile, car suite à la défaillance du gouvernement de Transition, faute d’intrants agricoles, les engrais notamment, la grande majorité de la paysannerie n’a pas travaillé ses champs, alors qu’elle recevait des engrais à bas prix depuis 2011. Pourvu que les masses populaires échappent à la famine. Mais il faut pour cela une politique résolue pour arriver à sortir de cette logique de la décadence sans fin.

Question 2 – Parlons du facteur monétaire justement : avec l’appréciation de la monnaie sur le marché des changes, comment expliquer le paradoxe de l’inflation élevée malgré tout ? Est-ce un indicateur de bonne santé de l’économie ?

Réponse : Il n’est pas inutile de faire un petit rappel sur la trajectoire de la monnaie guinéenne. Au 1er mars 1960, à la création du Franc guinéen, la parité avec le Franc colonial, le CFA était de 1 contre 1. En 1972, douze ans après, le Syli qui a remplacé le Franc guinéen s’échangeait à 1/10 de celui-ci et toujours pour 1 FCFA. Donc la dépréciation a été de 10 fois en 14 ans de pouvoir du PDG, avec toutes les conséquences que nous savons sur la misère extrême et même la famine que subissait le peuple. Cette époque correspondait justement à l’effondrement de la production agricole et de l’élevage, à l’exode rural massif vers les villes ou les pays voisins. Ceux qui, aujourd’hui veulent nous présenter le régime sanguinaire du PDG comme le modèle à suivre pour relever le pays de ses ruines et assurer le développement économique et la justice sociale devraient avoir l’honnêteté de reconnaître cet autre échec retentissant de ce régime.
Depuis 1985 que le Franc guinéen est revenu remplacer le Syli, jusqu’en 2019, la dépréciation par rapport au FCFA a été de 16 à 18 fois. La valeur, en termes de pouvoir d’achat a été donc divisée par 180 depuis l’indépendance, comparée à nos voisins du Franc CFA, arrimé d’abord au Franc français, puis depuis 2001 à l’Euro ! Voilà la vraie catastrophe que nous vivons !
Entre temps, de 2008 et 2010, notre monnaie a connu une véritable descente aux enfers ! Souvenons-nous de quoi a été faite la Transition à cette époque. Une gestion loufoque des finances publiques, avec les caisses de l’Etat pratiquement logées au Camp Alfa Yaya ! Le CNDD a lancé des centaines de projets « financés » exclusivement par la planche à billets, avec des avions-cargos débarquant toutes les nuits des tonnes de Francs guinéens imprimés en Chine ! Le résultat ne s’est pas fait attendre : le Franc guinéen s’est littéralement effondré sur les marchés de change, et les prix ont flambé encore plus. Avec le gouvernement civil de l’ancien président Alfa Kondé, il y a eu une stabilisation de la monnaie. La planche à billets s’est beaucoup calmée. Mais à quel prix ? Après la remise de la dette du programme PPTE (Pays pauvres très endettés), le régime est devenu expert dans l’art de monter de faux dossiers de financement qui inondent le pays de dettes de toutes sortes, sans aucun effet d’entraînement pour l’économie. Plus grave encore, le régime était continuellement entrain d’exiger de ses complices des mines, des avances sur redevances, pouvant atteindre parfois quatre années de contributions ! C’est l’élite politique et des affaires qui se partagent le pactole. Mais on a le sentiment « qu’il y avait de l’argent », sans savoir que c’est une corde encore plus raide qu’on nous passe autour du cou. Nous avons encore en tête le souvenir dramatique de cet emprunt de 230 millions d’Euros présenté à la ratification de notre 9ème législature en mai 2020, sous le fallacieux prétexte de financer la formation professionnelle, alors qu’en réalité, c’était juste pour financer les opérations du Troisième mandat illégal ! Votre serviteur est heureux d’avoir modestement contribué à faire échouer ce holdup du siècle. C’est une dette en moins pour les générations futures.
Le régime de l’ancien président Alfa Kondé était imbattable pour obtenir des financements dont on ne trouvera pratiquement jamais la trace sur le terrain, ou alors à plus de cinq fois le coût normal, comme c’est le cas des barrages hydro-électriques ! C’est la politique prédatrice du cash and spend (trouver de l’argent, n’importe comment, et dépenser). Tout baigne, au moins en apparence, il y a de l’argent facile ! On se souvient que le régime se vantait souvent d’avoir organisé des élections sans financements extérieurs ! On voit à présent d’où venait l’argent. Le résultat de cet endettement débridé ne se fera sentir que le jour où on fera l’inventaire sérieux de l’endettement extérieur du pays. Aujourd’hui, avec la Transition, heureusement qu’aucun bailleur de fonds n’est assez fou pour prêter son argent à une équipe qui n’est censée être que de passage. Le gouvernement du CNRD ne peut donc dépenser que l’argent que le Trésor public aura péniblement engrangé. On parle de refondation de l’Etat et de lutte contre la gabegie et les détournements de deniers publics. C’est une très bonne chose. Mais le gouvernement de Transition n’a pas d’autre choix que de mener cette lutte. Il y va de sa survie et celle du pays en même temps. Comme on dirait au camp militaire, « Mon Colonel, y a pas moyen » … A cet égard il est très important de souligner que l’effort de redressement ne peut se limiter seulement à accroître la pression fiscale, mais aussi et surtout à protéger et à bien utiliser les recettes ainsi engrangées, comme aiment à le dire pudiquement les technocrates, « veiller à la qualité de la dépense » et combattre sans merci les atteintes à la fortune publique.
Et comme nous l’avons dit précédemment, l’appréciation de la monnaie n’a que partiellement compensé l’inflation importée. A ce propos, il n’est pas inutile de citer les principaux facteurs dont les effets conjugués ont conduit à l’appréciation de notre monnaie. Il y a d’abord le facteur Dollar qui s’est apprécié de plus de 20% par rapport à l’Euro et aux principales devises. Nous n’allons pas entrer dans l’analyse des facteurs ayant conduit à la forte hausse du Dollar, ce n’est pas notre problème. Mais notre économie repose entièrement sur les mines qui représentent environ 98% de nos exportations, toutes exprimées en US Dollars. Donc dans les faits, nous sommes dans une zone Dollar. De plus, il est important de ne pas négliger le fait que des millions de Guinéens vivent à l’étranger et font vivre grâce à leurs envois, des millions de familles au pays. C’est une manne qui n’a pas été évaluée mais elle est colossale et augmente considérablement la demande de Francs guinéens, contribuant ainsi à son appréciation. Et même les bénéficiaires de ces envois subissent le double choc de la forte hausse du Franc guinéen par rapport à la devise d’où ils reçoivent leurs secours et l’inflation ambiante. Ce sont eux qui pleurent le plus aujourd’hui.
Si vous ajouter à ces données le fait que nous n’avons plus comme aux beaux jours du régime de l’ancien président Alfa Kondé, avec ses nouveaux riches, des serviteurs ou complices de l’Etat qui partaient tous les jours au bureau et qui revenaient le soir avec des centaines de millions voire des milliards, à changer en devises, car il n’y a plus nulle part où faire pousser des immeubles, on aura fait le tour de la question. Ce sont tous ces facteurs qui ont conduit à l’appréciation du Franc guinéen. Et une monnaie forte n’est pas une fin en soi, tout dépend de la structure de l’économie. Une monnaie forte dans une économie faible, n’a aucun intérêt pour le peuple. Ce phénomène n’est en rien à mettre en grande partie au crédit de la Transition. Celle-ci y a contribué certes, mais uniquement en n’ayant pas commis le geste suicidaire de faire marcher la planche à billets. La tendance à la stabilisation de la monnaie était déjà amorcée début 2020, avec la fameuse politique annoncée du Troisième mandat de « gouverner autrement ». Mais cette politique reposait en réalité sur le gel de toute la dépense publique pour soi-disant, mettre fin aux détournements. Ce n’était pas viable. Il fallait attaquer le mal à la racine, la corruption effrénée, les détournements massifs, mais le régime était bien entendu incapable de se reformer lui-même. Heureusement cette période folle de l’argent facile des campagnes électorales interminables et autres, est terminée.

la suite demain dimanche

Propos recueillis à Conakry le 27 octobre 2022 par Boubakar DIALLO – Transmis par la Cellule de Communication de l’UFD.

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