Dans une interview accordée au site Afriquotidien.com, l’opposant Mamadou Baadiko Bah, Président du parti Union des Forces Democratiques (UFD) s’est prononcé sur des sujets brûlants de l’actualité . Lisez ci dessous cette interview.
Afriquotidien.com : Pourquoi n’avez-vous pas pris part au dialogue qui s’est tenu sous l’égide du Premier ministre Bernard Goumou?
Mamadou Baadiko Bah: Nous avons toujours prôné le dialogue, mais un dialogue franc, sincère, inclusif et constructif. Dans le projet qui a été présenté, nous n’avons pas vu la moindre garantie de sérieux que l’on va aborder objectivement, sérieusement, courageusement, les véritables plaies de la Guinée. Malheureusement, nous n’avons rien vu dedans, qui laissait espérer quoi que ce soit d’autre que ce qu’on a vu, avec toutes les histoires de primes, de fausse sortie, de fausse rentrée, uniquement pour marchander des avantages financiers. Ensuite, on n’a absolument touché à aucun problème sérieux de la Guinée. On a noirci beaucoup de papier et nous doutons que cela puisse mener à quoi que ce soit de sérieux. Aujourd’hui, les événements nous donnent malheureusement raison, le dialogue n’était là que pour désamorcer la crise qui s’annonçait avec la Cedeao. Avant ça, il y avait eu les Assises nationales, les concertations nationales, des membres du Cnt qui ont fait des tournées à l’intérieur du pays donc tout cela c’est dans les mêmes manœuvres. La Guinée a des problèmes infiniment plus graves et qui doivent être adressés autrement qu’avec des tapes sur l’épaule, des photos-souvenirs et des perdiems.
Si les résultats du dialogue n’ont pas été à la hauteur n’est-ce pas par le fait de votre absence puisque vous aviez reçu les invitations au même titre que tous les autres partis politiques qui y ont pris part ?
La sphère politique est bien connue. On sait qui fait quoi, qui a été quoi, qui est quoi, quel est l’itinéraire de chacun de nous. Maintenant, ils disent qu’il faut être dans les coalitions. Au moment qu’ils ont convoqué le dialogue, nous n’étions d’aucune coalition. Il était question de rencontrer le Premier ministre, nous avions dit qu’étant donné qu’il était mis en cause nommément, publiquement dans un média comme Fim FM pour trafic d’influence et de tentative d’enrichissement illicite, dans la mesure où ils (les membres du Cnrd et du gouvernement, Ndlr) refusent de déclarer leurs biens, nous avions estimé que nous n’allions pas servir de caution à une mascarade comme celle-là, donc on s’est abstenu.
En quoi la non-déclaration des biens par les membres du gouvernement pourrait-il avoir d’impacts sur le déroulement du dialogue qui était focalisé essentiellement sur le retour à l’ordre constitutionnel ?
C’aurait été une preuve supplémentaire de sérieux. Comme on dit au village « l’odeur de la cuisine donne une idée de la qualité de la sauce». Tout ce qui était là montrait que l’unique préoccupation c’était d’éviter les sanctions de la Cedeao et non pas de résoudre les problèmes internes par concertation.
Cela n’a toutefois pas empêché la Cedeao, ayant constaté le boycott du dialogue par les principales coalitions politiques, de recommander la délocalisation de celui-ci.
En 2009-2010, on a fait le fameux dialogue à Abuja qui a fini à Ouaga et dont les résultats sont connus et dénoncés par tout le monde. C’était des instances savamment manipulées qui étaient totalement au service des visées d’un des leaders, candidat à l’élection présidentielle. C’était entre copains, entre amis de réseaux où on a écarté les Forces Vives de l’accord lui-même. Ça s’est passé entre la fameuse communauté internationale, aiguillonnée par le frère jumeau (allusion faite à Bernard Kouchner que Alpha Condé appelé son jumeau, Ndlr) qui, à l’époque, travaillait avec Sarkozy pour imposer un candidat. Donc les trois putschistes et l’assassin même, Blaise Compaoré, Dadis Camara et Sékouba Konaté ont signé l’accord sous l’égide du fameux Groupe International de Contact. C’était un petit feuillet de deux pages en 10 points sous forme de premièrement, deuxièmement etc… Alors qu’il y avait un véritable Accord Politique global inter-guinéen qui permettait de baliser la transition, mais personne, sur l’échiquier politique, n’en voulait puisque personne ne voulait avoir les mains liées en prenant le pouvoir avec les élections qui allaient arriver. C’est pour cela que ça n’a jamais été signé. Délocaliser le dialogue, je ne vois pas pour quel intérêt. La Guinée n’est pas un pays en guerre. En plus, si c’est pour permettre à des gens qui, pour des raisons politiques, estiment qu’ils ne peuvent pas rentrer, est-ce que c’est le dialogue tenu à l’étranger qui va le leur permettre ? Plutôt, il faut régler leur problème, pour qu’ils puissent rentrer chez eux et qu’ils bénéficient de toutes les garanties de droit et qu’on puisse se parler sur le territoire guinéen. Sinon, on ne fait que contourner ou déplacer le problème plutôt que de le résoudre.
Quelles sont les conditions préalables pour un dialogue inclusif qui permettrait le retour des exilés ?
C’est à la Cedeao d’imposer aux autorités guinéennes de respecter un minimum de lois permettant à ce qu’on puisse s’asseoir et discuter. Mais ce n’est pas le parrainage de la communauté internationale qui va régler le problème. Nous l’avons dit depuis longtemps, le Cnrd a son agenda secret qu’il déroule tranquillement, il n’a besoin de l’avis de personne. Telles que les choses se passent, la transition a le risque de pourrir sur pied et nous mettre dans des situations absolument insoutenables. Le Cnrd est le seul à savoir où il va et tant pis pour ceux qui pensaient qu’il aurait agi différemment ou qu’ils auraient été cooptés par la junte.
Le Cnrd avait trouvé un accord avec la Cedeao sur la durée de la transition. Le hic est qu’on ne sait pas encore quand ça commence ou si cela a déjà commencé. Qu’en pensez-vous ?
De ce côté-là, le Cnrd n’a pas innové dans sa stratégie pour éviter les sanctions, tout en continuant à confisquer le pouvoir. Les juntes au Tchad et au Mali sont spécialisées dans ce genre de manœuvre. Dès que ça chauffe, on se débrouille pour avoir un accord de deux ans en sachant que rien n’est fait pour que ce délai soit respecté. C’est une véritable manœuvre politicienne utilisée par tous les putschistes de l’espace francophone apparemment.
Aujourd’hui, plusieurs acteurs sociaux et politiques notamment Cellou et Sidya sont en exil. Qu’en dites-vous ?
Nous avons passé 21 ans d’exil avant 1984, donc, on ne le souhaite à personne. Il faudrait que les gens rentrent en toute sécurité et qu’ils aient des garanties interafricaines sur leur sécurité et le respect de leurs droits. L’exil n’est pas une bonne solution malheureusement, même sur le plan humain cela engendre beaucoup de problèmes. Il faut que le Cnrd trouve avec les autorités de la Cedeao les moyens de rassurer les intéressés pour qu’ils rentrent. Je vous rappelle que nous autres, on peut aller et venir sans aucune difficulté et que personne ne s’est mis devant notre porte pour dire «donne la clé, tu n’es pas chez toi ou allons en prison pour que tu t’expliques sur l’origine de tes biens ou ta gestion du bien public ». Dieu merci, on n’a rien fait à personne, on a rien géré depuis que la Guinée existe. Nos archives personnelles sont disponibles…
Il y en d’autres comme vous qui n’ont jamais géré les affaires publiques, mais qui, aujourd’hui, sont interdits de sortir du pays.
Vous savez que c’est le Cnrd qui a ouvert les portes de prison du Pr Alpha Condé. L’anomalie c’est le fait qu’il n’y ait pas de justice équitable et surtout que les gens étaient détenus sans jugement depuis 2020 pratiquement. Il ne faut pas qu’on soit dans un éternel recommencement.
Déjà l’ancien Premier ministre, Kassory Fofana, l’ancien président de l’Assemblée nationale, Amadou Damaro, sont détenus depuis près d’un an à la Maison centrale. A ceux-là s’ajoutent les leaders du Fndc Foniké Mengué, Ibrahima Diallo et Billo Bah.
On est désolé d’avoir eu raison trop tôt. La façon même dont ils ont attaqué le détournement massif et scandaleux de deniers publics n’était pas la bonne approche. La liberté de quelqu’un n’est pas à prendre à la légère. Il fallait que le Cnrd se donne les moyens de faire des audits sérieux, impartiaux par des organismes indépendants, mais ça n’a pas été le cas. Ils ont des dossiers qui sont vides. Ils n’ont que des soupçons, des présomptions, ce qui, en droit ne permet pas de trancher. Si le dossier est vide, on ne peut pas garder les gens en prison sans violer la loi. Et pourtant, tout montre qu’il y a des milliers de milliards de Francs Guinéens volés au pays à récupérer. C’est cela aussi rendre justice au peuple de Guinée, spolié et réduit à la misère.
Interview réalisée par Abdoul Malick Diallo pour Afriquotidien.com