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Prostitution à Conakry : des adolescents et des adolescentes initiés et encadrés par des bandes organisées

Nous sommes à quelques encablures du rond point Transversal numéro 6 dans la commune de Ratoma . C’est ici dans une maison close qu’ont lieu toutes les nuits des rencontres entre des belles de nuits et des clients. Tout débute par des rencontres entre inconnus qui se découvrent pour la première fois et qui s’accouplent les minutes ou heures qui suivent.

Les négociations tournent autour du prix, du timing et du lieu  » du match » comme elles l’appellent affectueusement.

C’est presque devenu la routine dans ces milieux. Ca n’émeut personne.  La nouveauté qui a attiré notre attention et que nous avons jugé nécessaire d’être portée à l’attention des autorités et des Guinéens, c’est l’enrolement à ciel ouvert des mineurs et mineures dans la prostitution à Conakry.

Nous avons infiltré le réseau et nous avons vu comment se déroulent les prises de contacts et les négociations.

Nous avons essayé de comprendre comment fonctionnent les activités.

A un endroit peu éclairé où personne ne reconnait l’autre, une foule se masse,  ca sent un mélange de chanvre indien et de fumée  de cigarettes. Des motocyclistes débarquent et se fondent dans l’obscurité. La bière coule à flot.

Ce lieu de dépravation est situé à quelques microns du Point d’Appui de la Brigade Anti Criminalité numéro 13. Devant chaque porte d’accès se défoulent des belles de nuits aux accoutrements sans équivoques. On y voit des jeunes filles, cigarettes coincées entre les lèvres. Elles ne fument cependant pas la drogue. A un potentiel client qui rôde prés de la meute, elles articulent en langues nationales

« Wonkhaye ? ( traduisez on va partir? En langue soussou ou encore « En yahay dhon ?  Nous allons partir en langue pular?

Elles se trémoussent, frissonnent dans l’espoir de faire monter l’envie chez l’inconnu.

Dans notre élan d’infiltration, nous avons commencé par approcher une belle de nuit. Et s’engagent les négociations

« Un coup coûte 25 000 gnf » nous a soufflé une effrontée. Nous avons demandé un léger rabais.

« Non » répond-elle d’ un ton ferme.

« Nous louons la chambre à 10 000 gnf et achetons la capote à 5 000 gnf. Si nous diminuons, on n’aura que peu d’argents » nous a confié une membre du groupe.
Alors nous avons proposé d’aller ailleurs. Elle a décliné. Apparemment, ces filles ne se sentent pas en sécurisé à l’extérieur.  « Ce n’est pas possible, tu ne vas pas trouver une qui va accepter de te suivre. Ne cherche même pas » murmure la cliente.
Par contre, une autre dans la trentaine a accepté le déplacement vers le quartier Sonfonia.

Elle a déclaré que dans ce cas de figure, le prix est 200 000 gnf. Au terme des tractations, on s’est quitté en queue de poisson.  « Tu es du village toi, dégage!  »  a-t-elle asséné.
Ces lieux de joies sont gérés par des jeunes appelés « gérants ». Chaque fois qu’un client vient, il se dirige vers le gérant et articule

« Gérant, envoie une !! ».
Mais pour ces gérants, le principe est simple : un client qui ne fait pas de commande ne doit en aucun cas avoir de contact avec une de ces filles

Nous avons voulu nous camoufler et nous asseoir à côté d’une belle de nuit. Aussitôt, un jeune barbu au teint noir tenant entre ses mains un paquet de préservatif nous a sommés de quitter les lieux immédiatement . « On ne s’assied pas ici ! » a-t-il grondé.
Entre temps, nous avions eu le temps de comprendre que ça se passe comme ça chaque nuit. Il est très facile pour les gérants de détecter les nouveaux clients. Ici, les clients fidèles sont connus et tout le monde se connait.  Donc, il est facile de renvoyer les intrus.

Parfois, les belles de nuit sont en manque de clients surtout les vendredis et ces jours, les tarifs sont revus à la baisse.
Nous avons tendu l’oreille pour capter une conversation entre une professionnelle et une débutante. Elle lui a prodigué des conseils à propos de la gérante

« Le jour où tu as des clients, il faut lui remettre 5 ou 10 000 gnf, si elle te demande. Comme ça, elle va te comprendre le jour où tu n’en n’auras pas » a-t-elle articulé.

Nous nous sommes aussi posé la question de savoir pourquoi cette femme exige ce geste magnanime et qui elle est. Cette question est restée sans réponse.

Nous avons tenté de nous enquérir des réalités des chambres. Nous nous sommes fait passer pour un client. Déjà, nous connaissions les prix fixés à la rentrée. La passe, c’est à 25 000 gnf. Et nous voilà dans une chambrette de quelques mètres, prolongée par une toilette : un petit espace. Le lit est là.
Nous voilà dans la chambrette fermée. Avant réception du préservatif, nous avons souhaité visiter la toilette où est déposé un seau d’eau apparemment désinfecté au chlore.

Notre cliente se met en position, prête pour le passage à l’acte. Une curiosité nous anime et nous la transmettons à la fille.

« Cette position n’est pas bonne pour moi. Il faut changer » a-t-on hasardé.
« Quelle position proposes-tu alors ? » a-t-elle lâché.
Nous avons indiqué une autre position. Elle a dit que cette position a un coût

 » Tu ne sais pas que les prix varient aussi en fonction des positions. La position pour laquelle tu as payé s’appelle position enfant. Celle que tu demandes là, c’est la position adulte » martèle-t-elle .

Et d’ajouter  » si tu veux cette position, tu vas payer 75 000 gnf »
Nous nous sommes donc désisté en trouvant pour prétexte que nous ne voulons que cette position

 » Je te donne cependant les 25 000 gnf » lui a-t-on dit.
Aussitôt hors de la chambre, nous nous retrouvons nez à nez avec une jeune dame qui dit ne pas consommer de stupéfiants. Elle était seule, et nous a dit qu’elle était prête à 20 000 gnf. Nous avons décliné arguant que ce montant n’est pas disponible.

Cette dame a justifié cette réduction par le manque de clients ce jour.
Les anciennes professionnelles sont chargées toujours d’accueillir et d’encadrer les novices.

Nous avons intercepté une conversation entre une ancienne et une novice

« Au moment où nous étions sur ce terrain j’avais tellement de clients que parfois, deux clients venaient en même temps. Et je les acceptais à tour de rôle. Mais à votre ère, c’est difficile. Parce que beaucoup de filles se sont lancées dans cette affaire » dit-elle  en langue nationale.
Les nouvelles recrues et surtout les mineures gagnent différemment des clients. Les quatre premières nuits que nous avons passé dans cet habitacle, nous avons aperçu une novice debout face à un jeune lui demandant de lui acheter à manger. Nous l’avons su par les gestes. Nous nous sommes approchés pour entendre la conversation. À la fin de la dégustation, elle a remercié le monsieur.
C’est après que nous avons approché le monsieur en lui tendant 5 000 gnf.

« Je voulais être l’acheteur, mais elle ne m’a pas demandé, tenez ça ».
Et le monsieur répond : « Apprête-toi, car une autre va venir demander, c’est leurs coutumes. » répond le monsieur rejetant le montant tendu sans répondre quand nous avons posé la questions de savoir  pourquoi elles quemandent . Nous avons compris que c’est la faim qui pousse certaines de ces filles à se prostituer dans ces maisons closes.
Certaines mineures commencent à avoir des clients quand il est généralement 00h. Et là, c’est des adultes qui viennent vers elles pour leur proposer un tour surtout si la fille est bien arrêtée, appétissante.

Une nuit de mardi, à 00h 08 minutes, nous avons commencé à suivre une fille. Depuis sa première entrée dans la chambre. Elle est rentrée trois fois successives avec des clients. Après, nous avons suivi ses pas à distance pour voir un vieux homme l’intercepter de passage dans l’autre couloir dédié aux alcooliques. Cette mineure a consommé quatre relations charnelles en une nuit.
L’ autre constat, c’est que parmi les clients figurent aussi des jeunes garçons de 15 ans, 16ans. Ils consomment la drogue le long des rails derrière avant de se faufiler et rejoindre la maison close.

Une longue conversation avec une femme, assise sur un casier de jus nous a édifiés.

« Il y a des enfants de 16 ans qui viennent et on fait et puis on sort sans problème. Il n’y pas de petit homme sur cette terre » a-t-elle révélé.

Le réseau des intellectuels pour un développement durable, une ONG qui sensibilise dans ce domaine.indique dans un rapport que plusieurs filles mineures se livrent à ces actes et bien d’autres comme la consommation de la chicha et l’alcool.

« Nous avons remarqué la consommation de la chicha et de l’alcool par des filles mineures de 15 ans sur ces lieux. Nous avons rencontré des filles de 15 à 18 ans. C’est pourquoi, nous proposons un mémorandum que nous n’avons pas encore déposé au CNT pour l’interdiction des jeunes filles mineures à une certaine heure et dans certains lieux. Sur la prostitution en général, si on ne peut pas l’interdire, il faut revoir à partir de quel âge on peut l’exercer et règlementer cette pratique. » nous a dit Alpha Madiou Diallo, président de l’ONG RIDD.
Un rapport publié en 2022 par cette ONG précise que 75% des filles qui fréquentent ces lieux de prostitutions sont des intellectuelles. Et selon la même source, plusieurs formes de prostitutions sont pratiquées en Guinée. La première c’est le concubinage commercial. Cette forme est la plus répandue. Elle consiste pour la belle de nuit à coucher avec plusieurs hommes à la fois pour les sous. Si elle ne réussit pas sur cette forme, elle vire sur la deuxième forme qui est la prostitution physique et directe. Cela s’effectue dans les bars et les motels.

A l’image de l’Europe, la prostitution numérique est aussi pratiquée en Guinée à travers des plate-formes numériques.

Le président du RIDD dit regretter de constater que les mineures dans les salles de classes ne sont pas épargnées par cette forme.

« Il y a des proxénètes qui ont créé des plate-forme sur WhatsApp ou messenger. Elles affichent des photos des filles. Dès qu’un client choisit cette fille, ils appellent la fille, parfois en plein cours, pour lui indiquer les lieux, elle abandonne les cours et se rend au lieu indiqué » a-t-il dévoilé.
Ce réseau d’intellectuels s’est fixé pour objectif depuis 2016 de lutter contre tous ces fléaux à travers des formations.

La pâtisserie et la boulangerie sont entre autres domaines où se forment les filles sensibilisées pour être autonomes dans la vie.

L’ objectif qui nous a animé en menant cette enquête, c’est d’alerter l’opinion, précisément les parents et les autorités sur les enrôlements par vagues successives des mineurs des deux sexes dans la prostitution en Guinée.

Par Djibril Timbo Barry pour couleurguinee.com.

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