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mercredi, novembre 27, 2024

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Les mots et les maux du ministre. ( Par Habib Yembering Diallo)

Chers lecteurs, nous vous recommandons cette autre plume de l’ écrivain-journaliste Habib Yembering Diallo pour comprendre le calvaire des ministres . Bonne lecture.
Les mots et les maux du ministre.Cher ami,

Je te vois déjà sourire te disant « Il a encore des problèmes sans lesquels il ne m’écrit jamais ». J’introduis ma correspondance par cette phrase pour te présenter mes excuses. Parce que, effectivement, je ne t’écris que lorsque je suis confronté à des difficultés.

Cher ami,

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, je n’ai jamais été aussi malheureux que durant cette période pendant laquelle les gens pensent que je suis heureux. Pour eux, être ministre est une chance, un privilège et un prestige. Soit. Mais, comme dit le dicton populaire, c’est la louche qui sait ce qu’elle a laissé au fond de la marmite.

Cher ami,

Tu vois que je ne parviendrai jamais à me débarrasser de cette habitude que j’ai depuis notre enfance. Je vais rarement droit au but. Pour aller de Conakry à Kankan, je passe toujours par Koundara. T’écrire est toujours un plaisir pour moi au point que je préfère te faire sourire au départ pour nous détendre tous les deux. Comme l’a dit Charlie Chaplin « L’humour renforce notre instinct de survie et sauvegarde notre santé d’esprit ». Quand je te parle, que tu sois en face de moi ou par téléphone ou même par papier comme c’est le cas ici, je dois me défouler et me libérer de tout mon être.

Cher ami,

Tu te rends compte que j’ai du mal à aborder mon sujet. Tant il est sensible. Mais je ne dois pas me permettre de maintenir plus longtemps le suspens. Je t’adresse donc cette correspondance pour solliciter ton aide. Mais aussi ton silence. Même si je ne doute pas un seul instant de ta loyauté, ta sincérité et ta fidélité à toute épreuve, à notre âge, on peut oublier pour laisser trainer quelque chose quelque part. Or si cette lettre tombe entre les mains de quelque personne, son contenu pourrait se retrouver sur les réseaux sociaux. Et bonjour le scandale.

Cher ami,

Dans cette nouvelle épreuve que je traverse, je souhaite avoir tes conseils mais aussi ta médiation entre ma famille et moi. Notamment madame et les enfants qui soutiennent que ma présence dans cette équipe est nuisible et préjudiciable pour les miens. Pour eux, je dois rendre le tablier immédiatement. J’ai besoin donc de tes conseils pour savoir comment je vais sortir du bourbier dans lequel je me suis englué. Connu hier comme un militant des droits de l’homme, je me suis retrouvé dans un engrenage où tout mon passé risque d’être remis en cause. Si ce n’est déjà le cas. A ce titre, je souhaite que tu me dises franchement et amicalement ce qui se raconte dans la cité me concernant.

Mon ami,

Est-ce que les gens me considèrent comme un opportuniste qui s’est servi d’un idéal de démocratie comme échelle pour se hisser haut ou comprennent-ils que je me suis pris au piège ? Entre nous, tu sais pertinemment qu’il s’agit du deuxième cas. Je n’ai jamais pensé un seul instant que je me retrouverai un jour dans une équipe qui prive nos compatriotes de leurs droits les plus élémentaires. Comme le fait de brouiller les ondes ou encore restreindre l’accès à Internet. Mesures que certains collègues justifient par un prétendu impératif sécuritaire.

Cher ami,

Sache que notre équipe est composée de deux catégories de personnes : il y a d’un côté les durs et de l’autre les modérés. Les premiers sont des arrivistes qui n’ont jamais rêvé d’être ce qu’ils sont aujourd’hui. Pour exister et montrer à leur bienfaiteur leur loyauté et leur fidélité, ils sont tout simplement plus royalistes que le roi. Les seconds, auxquels je fais partie, sont des personnes qui ont fait leur preuve au niveau du privé ici et ailleurs et qui s’occupent uniquement de leur mission.

Mais tous sont dans un bateau qu’on appelle Gouvernement. Et par conséquent, si un seul des passagers perfore ce navire, le naufrage est collectif. Or le sentiment général c’est que de plus en plus des collègues rament à contre-courant. Sinon, comment expliquer le silence radio imposé à certains journalistes ? Comment justifier la détention d’un journaliste doublé de syndicaliste ? Pourquoi le silence de notre patron face aux agissements d’un ministre qui veut le beurre et l’argent du beurre. C’est-à-dire son poste de ministre et la présidence de son ancien parti ?

C’est pour éviter ce naufrage que je m’adresse à toi. Pour que tu m’apportes tes conseils et tes propositions. Y compris les propositions les plus radicales. Comme la démission. Même si démissionner relèverait d’un suicide. Surtout de l’intérieur. Or, nous sommes désormais dans une prison à ciel ouvert. Toute sortie du territoire étant suspecte, il faut trouver une excuse qui crève les yeux pour le faire. Comme une maladie qu’on ne peut pas soigner sur place.

Cher ami,

A toutes ces contraintes, s’ajoutent les problèmes de famille. Lesquels constituent un couteau sur la gorge d’un ministre. Imagine qu’une délégation vienne m’informer de la cérémonie de fin de veuvage de la tante du mari de ma belle-sœur. Ou le mariage de la cousine de l’épouse de mon de mon chauffeur. Sans compter ceux qui viennent pour des cas de maladie, d’étude à l’étranger ou encore de travail. Pour que tu comprennes l’ampleur de la pression, si tu multiplies par cent le salaire du ministre il ne fera pas une semaine. C’est pour combler ce manque à gagner qu’on a mis en place un système qui permette au ministre d’avoir des revenus supplémentaires afin de pouvoir faire face à la situation.

Cher ami,

Tu comprends maintenant qu’au-delà de l’apparence, ton ami est tout sauf un homme heureux. Et surtout vertueux. Je te prie donc de réfléchir pour moi à une possibilité de me tirer d’affaires de cet engrenage. Pour me dire à ma place qu’est-ce que tu aurais fait. Si tu optes pour une fuite, comment l’organiser. Ou s’il faut rester, comment concilier l’inconciliable. C’est-à-dire être un démocrate dans un système dictatorial. Enfin, je souhaite vivement que tu appelles ma femme et mes enfants pour leur expliquer le dilemme dans lequel je me trouve. Comme tu le sais, la femme de l’imam peut croire plus au muezzin, qui est le moins cultivé de tous les fidèles que son mari pourtant vénéré par les autres. Mais bon, tu pourrais te demander depuis quand ton ami peut parler de religion et de religieux. Parce que l’intellectuel africain est déchiré entre la science, la religion et l’animisme.

En attendant ta réponse, détaillée et argumentée comme tu sais le faire, je salue ton épouse et tes enfants.

Ton ami, le ministre.

Bien reçu grand chef
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