Nous vous recommandons cette analyse du journaliste-écrivain Habib Yembering Diallo
Cette année, les médias privés guinéens ont célébré la journée internationale de la liberté de la presse dans un contexte particulièrement difficile. Jamais, depuis le début des années 90, qui marque l’amorce de la libéralisation de ce secteur, cette presse privée n’avait connu une situation aussi éprouvante que ces six derniers mois.
Les médias privés payent le prix de leur témérité dans un pays où, depuis le 5 septembre 2021, il n’existe aucun contre-pouvoir. Le CNT, né du putsch militaire, est soumis à l’auteur de ce putsch. La justice, proclamée la boussole par le nouveau pouvoir, a fait publiquement son mea culpa. Confessant qu’elle était soumise à l’ancien président. Comme si cela ne suffisait pas, le nouveau ministre de la justice a révélé récemment qu’un magistrat a demandé l’avis du palais pour prendre une décision de justice.
Après la neutralisation du deuxième et du troisième pouvoir par le premier, le quatrième était le seul contre-pouvoir. Jusqu’à ce que le premier décide d’être le seul et l’unique capitaine dans le navire Guinée. Depuis novembre 2023, les radios et télévisions privées qui dérangent battent de l’aile. Les premières sont brouillées. Les secondes n’émettent pas plus loin que la cour qui abritent leur siège.
Cette situation imprévue même par le plus sceptique des Guinéens, est dénoncée par certains leaders politiques. Mais un médecin plus malade que son patient ne peut pas soigner ce dernier. Préoccupés par leur propre sort, ces leaders restent inaudibles. La société civile, ou ce qui en reste, est muette. Cette entité, devenue une échelle pour se hisser plus haut pour certains, est réduite au seul FNDC dissout. Mais les membres de cette organisation se sont mis eux aussi à l’abri à l’étranger.
Et la fameuse communauté internationale dans tout cela ? Celle qui a fait les pieds et les mains pour l’instauration de la démocratie dans ce pays. Pourquoi le silence de cette communauté internationale qui a mis tant des pressions sur le président Conté et le capitaine Dadis ? Le premier pour instaurer la démocratie et l’Etat de droit. Le second pour renoncer au pouvoir. Ces pays et organisations internationales sont-ils désormais convaincus que la Guinée n’est pas prête pour la démocratie ? Ou, une nouvelle fois, ils veulent que les Guinéens se lavent le ventre pour leur laver le dos ?
A mon avis, la réponse à ces interrogations se trouve dans ce qu’il convient de qualifier la rébellion du Mali, du Burkina Faso et du Niger contre la France. Ce qui a rendu ce pays très frileux dans la crise consécutive aux coups d’Etat militaires. La France a peur de s’immiscer dans les affaires d’un autre pays qui pourrait de facto rejoindre l’Alliance des Etats Sahéliens. Ou tout au moins ouvrir un énième front contre l’ancienne puissance coloniale. Or les autres pays occidentaux se rallient toujours derrière la position française dans les dossiers relatifs à ses anciennes colonies. Mais ce n’est pas tout, ils savent aussi que Moscou, qui n’en a cure de la démocratie, n’attend que leur départ pour prendre leur place.
Comme on le voit donc, ni les partis politiques, ni la société civile ni la communauté internationale ne volent au secours des radios et télévisions libres de Guinée. Pire, les citoyens, principales victimes de la chape de plomb qui s’abat sur les médias, tournent ces derniers en dérisions. Leur rappelant que certains journalistes avaient martelé que l’opposition manque de stratégie. Et qu’ils attendent, eux aussi, la stratégie de la presse pour se tirer d’affaires. Alors qu’ils devaient exiger du pouvoir l’arrêt immédiat du musèlement de cette presse.
Devant cette situation du seul contre tous, les médias privés n’ont pas le choix que de concilier l’inconciliable. Comme ils l’ont fait en allant à la rencontre du Premier ministre pour lui demander d’intercéder auprès de son patron afin que les médias puissent reprendre leurs activités. Dans la foulée, l’idée de remettre en place un organe d’auto-régulation a été mise sur la table. Ce qui a suscité de vives critiques. Les partisans d’un bras de fer avec le pouvoir estimant que les patrons de presse ont capitulé. Mais ces derniers connaissent mieux que quiconque l’adage selon lequel la « mère-poule ne doit pas sauter le feu ». Si les patrons ont plusieurs cordes à leur arc, ce n’est pas le cas pour la plupart de leurs employés. Certains risquent d’être expulsés de leur logement. D’autres ne parviennent plus à payer la scolarité de leurs enfants. D’autres encore sont devenus des mendiants VIP.
D’où l’initiative pour les médias privés de mettre en place cet organe d’auto-régulation dont l’objectif serait de rappeler à l’ordre les journalistes qui foulent au pied le respect sacro-saint de l’éthique et de la déontologie. Mais avec la déclaration du PM selon laquelle le président de la transition est déçu des médias, on se rend compte que le locataire du palais Mohamed V n’a pas bien compris le rôle de ces derniers dans un pays. S’il souhaite que les médias privés fassent la même chose que la RTG, il risque encore, et pour longtemps, d’être déçu.
Par Habib Yembering Diallo