En 2023, alors que le conflit Russo Ukrainien est intense, Thierno Amadou Mboonè Camara, le fondateur du site Guinee114.com a foulé le sol ukrainien, en compagnie d’une cohorte de journalistes venus de nombreux pays africains. Ils étaient des invités des autorités ukrainiennes pour vivre les réalités de cette crise dans ce pays aux prises avec la Russie.
Ce voyage lui a inspiré un livre titré » Géopolitique de la guerre Russo-Ukrainienne : Impression d’un reporter de retour d’Ukraine » paru chez ‘ L’ Harmattan Guinée ».
Dans ce livre de 80 pages, ce journaliste, reporter et patron de presse raconte ses sensations, ses émotions et ses sentiments au contact des informations recueillies en Ukraine dans un environnement peu favorable à un exercice serein de la profession de journalisme
Dans cette interview exclusive faite le mardi 06 août, Thierno Amadou Mboonè Camara nous fait partager son expérience de ce voyage.
Couleurguinee : Pouvez-vous nous parler de ce qui vous a encouragé à couvrir la guerre en Ukraine ?
Faire des voyages, recueillir des informations et les partager est déjà une habitude pour moi, parce que je suis passé par plusieurs médias où je le faisais. Je partais à l’intérieur du pays pour raconter ce qui se passe. Donc, aller en Ukraine, la seule particularité, c’est que c’est un terrain différent, une zone de conflit entre deux Nations. Cette fois ci, nous sommes allés dans un pays en guerre. Une guerre dans laquelle, les armées les plus puissantes du monde s’affrontent.
Pour moi, c’était à la fois une épreuve difficile et un challenge parce que je me suis dis qu’en tant que journaliste, c’est mon rôle de prendre des risques pour la population, aller l’informer de ce qui se passe.
C’est aussi un privilège d’être parmi ceux qui racontent cette guerre et qui pourraient la raconter un autre jour tout en espérant, dans un proche délai, que la paix puisse revenir pour les ukrainiens et pour tous ceux qui habitent cette zone.
Comment avez-vous préparé cette aventure ?
À partir de la Guinée, il fallait s’informer d’abord, savoir où je vais. Quelles sont les questions que je devrais me poser parce qu’on ne peut pas raconter cette guerre dans tous ses aspects. En tant que Guinéen, je suis allé avec une quinzaine d’autres confrères africains venus d’un peu partout à travers le continent. Moi, j’essaie de raconter cette guerre et poser des questions selon les intérêts de mon pays, par exemple demander quels sont les sorts des étudiants guinéens qui étaient là-bas avant la guerre? Quelle est la coopération qui existe entre la Guinée et l’Ukraine et qu’est-ce que l’Ukraine attend des autorités guinéennes par rapport à cette guerre.
Je rappelle juste que quand nous partions, il y avait un corridor de céréaliers qui était mis en place. Malgré la guerre, l’Ukraine continuait à exporter son céréale vers les pays africains pour éviter une crise alimentaire. Et donc poser des questions sur la continuité de ce projet, de cet accord entre la Russie et l’Ukraine facilitée par les Nations-Unies et la Turquie.
Il fallait se préparer, se préparer surtout à prendre un angle concernant la Guinée dans ce conflit, voilà comment moi j’ai préparé ce voyage
Quels ont été les défis les plus importants auxquels vous avez été confrontés pendant votre reportage ?
D’abord, il y a le défi de la langue, parce que, le français ne suffit pas, la communication se faisait en anglais, les traductions aussi. Heureusement, je n’ai pas eu assez de difficultés dans ce sens, mais je le dis pour que ceux qui nous lisent, nos confrères journalistes, sachez que très souvent sur la scène internationale, le français est très bon, mais il n’est pas suffisant, donc c’est toujours bon de commencer déjà à améliorer le niveau en anglais, ça c’était le premier défi.
Le deuxième c’est le stress permanent, parce que vous partez quand-même dans un pays en guerre, où à tout moment vous entendez la sirène, les alertes à tout moment pour dire qu’il y a des drones, des engins explosifs qui arrivent et qui sont interceptés par des appareils offerts par les américains. Il y a aussi les conditions climatiques qui n’étaient vraiment pas les meilleures. Nous qui n’étions pas habitués à ce type de climat, c’était un peu difficile, la nourriture aussi. Il y a plein de défis. Quand on va dans un pays en guerre, on ne s’attend pas au luxe. On ne va pas á Paris pour du tourisme, on se prépare donc à être sans électricité, sans téléphone et à manquer de beaucoup de choses.
Comment avez-vous assuré votre sécurité personnelle tout en réalisant vos reportages ?
Les organisateurs ( Médecins Sans Frontières…) nous ont dotés des gilets de sécurité contre les balles à Kiev. Nous ne nous ne sommes pas forcément rendus sur des fronts où la guerre était encore active. Nous étions dans des villes certes qui n’étaient pas sans risque. Le jour même de notre arrivé, Kiev la capitale a fait l’objet d’une attaque massive d’engins venant de la Russie.
Pouvez-vous partager une expérience marquante ou une histoire touchante que vous avez vécue pendant votre séjour en Ukraine ?
On a vécu plusieurs histoires là-bas. C’est pourquoi d’ailleurs je me suis dis qu’il n’était pas suffisamment cohérent de me limiter aux articles de presse. Il fallait écrire ce livre pour partager justement ces moments de convivialité mais aussi de stress permanent avec des citoyens ukrainiens. Échanger avec la première dame, le président et plusieurs hauts cadres tout ceci c’est des moments extraordinaires.
Ce qui est le plus marquant pour moi c’était cette capacité, ce patriotisme que j’ai vus dans les yeux des Ukrainiens. Malgré les bombes, il y a des citoyens qui sont restés chez eux, et qui sont restés attachés à la patrie. Ça, pour moi, c’est extraordinaire.
Un président qui est relativement jeune, qui tient encore la situation et qui a réussi à maintenir sa population en ordre de bataille pour reconquérir l’intégralité du territoire mais aussi à mettre fin à cette guerre que son peuple subit.
Quand on vit dans un pays comme le nôtre, et que l’on voit ailleurs combien de fois les gens sont accrochés à leur pays, c’est quelque chose de très marquant pour moi.
Vous avez eu un entretien avec le président ukrainien Zelensky , dites nous qu’est-ce qui a été dit lors de vos échanges ?
Il n’ y a pas eu assez de choses. Nous lui avons posé des questions liées aux intérêts africains. Par exemple, vous savez l’Ukraine est un grenier qui possède plusieurs hectares de terres agricoles, la preuve est que cette guerre a affecté la sécurité alimentaire sur le plan mondial. Cet entretien aussi était d’en savoir un plus sur l’accord trouvé entre la Russie et l’Ukraine qui consistait, à partir de décembre, sur la mer noire, à pouvoir sortir des navires ukrainiens qui transportaient des céréales pour les transporter un peu partout dans le monde afin d’éviter une crise alimentaire. L’Ukraine est parvenue a résister, à pouvoir transporter ses céréales tout en livrant une guerre à ce niveau pour maintenir le trajet et servir des pays africains.
Et c’était aussi de savoir qu’est-ce que l’Ukraine attend de l’Afrique. Et ça à tour de rôle, les autorités nous ont expliqué ce qu’elles demandent aux Etats africains, comprendre leur situation, comprendre qu’aujourd’hui ils sont agressés.
Le président Zelensky nous a rappelé qu’on a mené la même guerre dans les années “60” quand nous avions parfois pris des armes contre le colons blanc et demandé notre indépendance.
Donc, le soutien qu’ils demandent aux peuples africains, c’est réussir de façon diplomatique à mettre la pression sur la Russie à coup de vote aux sessions des Nations Unies pour demander à la Russie de mettre fin à cette guerre et soutenir le plan de paix présenté par le président ukrainien pour mettre fin à cette guerre.
Ensuite, qu’est-ce de la l’Ukraine fait pour les étudiants africains qui sont affectés par cette guerre et qu’est-ce qui est prévu, vont-ils revenir ? Ce sont, entre autres, des questions que nous avons posées et dont nous avons rapporté les réponses dans nos articles de presse.
Et moi j’ai pensé qu’au delà de ces réponses, mais aussi en terme d’expérience, il fallait écrire cette histoire dans un livre pour la postérité.C’est un livre destiné aux rédactions, aux jeunes journalistes, aux autorités décideurs pour comprendre effectivement le narratif ukrainien et la place de l’Afrique dans la politique africaine de l’Ukraine et comprendre cette guerre dans ses fondements.
Quelle a été la réaction de vos lecteurs ou de votre audience face à vos reportages ?
Vous savez le plus souvent, il y a des internautes qui par manque d’information pensent que l’Ukraine joue la marionnette, parce qu’ils font la guerre par procuration, ils pensent que c’est une guerre entre l’Occident et les Russes,mais en réalité, l’Ukraine fait sa propre guerre, et est entrain de défendre l’Europe en se défendant parce que sinon, c’est l’union européenne qui est menacée notamment la Pologne et d’autres pays qui sont menacés.
La dernière illustration après cette interview, il y a le gouvernement malien par exemple qui a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec l’Ukraine parce que l’Ukraine aurait commenté à travers des officiers ukrainiens des pertes subies par des mercenaires de l’ancien Wagner au Mali. Il y a toutes ces situations qui font que des gens ont parfois du mal à comprendre cette guerre. Les réactions sont négatives mais à force de lire et comprendre, les gens se font leur propre opinion.
L’histoire de l’Ukraine est comme ce que nous avons vécu dans les années “60”, la seule différence est que la France ne nous envoyait pas des bombes tous les jours mais nous dominait, contrairement à la Russie qui non seulement occupe plus de 20% du territoire ukrainien mais aussi continue à bombarder.
D’où est parti l’idée d’écrire un livre à propos ?
C’est un livre avec plein d’expériences . D’abord des expériences sur le terrain, des interviews avec le président, la première dame, l’ambassadeur de l’Ukraine en Guinée qui réside à Dakar, beaucoup de questions qu’on pourrait se poser étant africain. Par exemple, quel est le sort des étudiants africains qui étaient en Ukraine ? Qu’est-ce l’Ukraine peut offrir à l’Afrique à la Guinée ? Qu’est-ce l’Ukraine fait pour se rapprocher des États africains à travers les ouvertures d’ambassades, mais aussi à travers l’adhésion à des organisations, à travers la coopération et plein d’autres questions. Voilà en quelque sorte le contenu de ce livre. Pour moi c’est mon baptême de feu, c’est le premier manuscrit édité et validé par l’harmattan. Mon souhait le plus ardent est que ce livre soit dans toutes les capitales africaines et dans toutes les rédactions en Guinée.
Ce livre est vendu à 12 euro, c’est l’éditeur qui a fixé le prix. C’est un livre de 80 pages avec six (6) chapitres qui le compose. Et dans ces chapitres, j’ai partagé plusieurs de mes expériences vécues. Après avoir lu ce livre, le lecteur a des éléments à partir desquels il peut se construire sa propre opinion sur cette guerre.
Quel conseil donneriez-vous aux journalistes qui souhaiteraient couvrir des situations de crise ou de conflit ?
C’est d’abord de penser à leur propre sécurité ensuite prendre des renseignements, savoir quel angle prendre et c’est comme tout autre sujet, et on essaie de développer cet angle, le reste après on peut se poser des questions sur beaucoup d’autres situations pour avoir une culture générale, donc c’est choisir son angle selon l’intérêt de son pays et de rester sur cet angle.
Une interview réalisée par Mamadou Alimou Diop