« Faire lire les lycéens, les amener à lire de façon continue et pas uniquement des œuvres du programme. Les amener à avoir une analyse plus fine, plus pertinente, un esprit plus critique sur les livres. Mieux comprendre leur construction, mieux comprendre de quoi ils parlent, mieux comprendre comment ils sont écrits, c’est-à-dire tous ces éléments qui entrent dans l’écriture d’un roman…. » dixit Marie Paul Huet, la coordinatrice de l’activité Prix littéraire des lycéens guinéens dans cette interview qu’elle a accordée à couleurguinee.com
En prélude de la journée internationale de l’écrivain africain et du salon international du livre de jeunesse, le Centre de Lecture publique et d’Animation Culturelle (CELPAC) lance la première édition du prix littéraire des lycéens de Guinée 2024, prévue le 07 novembre 2024, pour la première phase. La seconde va être proclamée au mois d’avril.
Couleurguinee.com : Vous coordonnez l’activité appelée » Prix littéraire des lycéens de Guinée ». Parlez-nous de cette activité ?
Marie Paul Huet : C’est un prix littéraire. Comme tous les prix littéraires. Il couronne une œuvre littéraire. Donc là, nous avons choisi de couronner un roman qui s’adresse à des lycéens. Et cinq éditeurs : ( Editions Ganndal, Harmattan, Innov, Plume inspirée et Yigui) ont commencé par proposer dix livres qui ont été lus par un comité de sélection qui en a retenu cinq, ce sont : Sens interdit de Mabety Soumah, Murutigui ou le sabre du refus de Yamoussa Sidibé, Mémoires d’une
adolescente de Gbamon Zegbelamou ; Ame soeur, L ‘amour au delà de l’ethnie de Betty Laye Camara ; un secret de Djenabou Koumanthio Diallo qui sont proposés aux lycéens cette année en lecture avec leurs professeurs de français.
Le programme qu’on a défini avec les professeurs, c’est de lire un livre par mois, faire une réunion des vingt élèves de l’établissement qui ont été choisis ou qui sont volontaires. Donc, un livre par mois est étudié par les vingt élèves qui en discutent avec leurs professeurs et au terme de ces échanges, chaque élève fait sa fiche de lecture en disant ce qu’il pense personnellement du livre et lui met une appréciation, une note, peu importe.
Au bout de cinq mois, ils auront lu les cinq livres. À ce moment-là, on organisera un vote pour tous les lycéens qui participent et qui diront quel est le livre qui leur a le plus plu, celui qui les a le plus intéressés, celui qu’ils trouvent le meilleur. Et ce sont eux qui votent. Après, on depouillera les résultats comme dans une élection. On comptera les voix obtenues par chaque roman et on pourra dire à ce moment-là qui est le gagnant du Prix littéraire des lycéens de 2024-2025.
Couleurguinee.com : Alors, en organisant cette activité, dites-nous quel est l’objectif recherché ?
Marie Paul Huet : L’objectif, c’est faire lire les lycéens, les amener à lire de façon continue et pas uniquement des œuvres du programme. Les amener à avoir une analyse plus fine, plus pertinente, un esprit plus critique sur les livres. Mieux comprendre leur construction, mieux comprendre de quoi ils parlent, mieux comprendre comment ils sont écrits, c’est-à-dire tous ces éléments qui rentrent dans l’écriture d’un roman.
Donc ça, c’est une chose. Avoir des lycéens plus performants en lecture. Ensuite, ce qu’on souhaite, c’est que le résultat de ce vote et des critiques qui vont remonter des lycées, les auteurs comprennent ce qu’attendent les lycéens. S’ils écrivent de façon très compliquée, trop compliquée ou pas assez compliquée, s’ils racontent des histoires pas assez intéressantes ou au contraire très intéressantes, ça va leur permettre de réfléchir sur leur production et peut-être de les encourager à aller plus loin dans l’écriture.
Couleurguinee.com : Pourquoi avez-vous choisi des jeunes lycéens pour y participer ?
Marie Paul Huet : les lycéens, ils sont encore au lycée. On peut encore leur proposer des activités de lecture au sein des bibliothèques de lycée ou des comités de lecture ou des activités autour de lecture organisées par les comités culturels des lycées. A l’intérieur du pays, ce sont des bibliothèques qui vont piloter le projet, mais les bibliothèques ont aussi des comités de lecture. Donc, les lycéens sont curieux aussi. Ils n’ont pas encore d’activité professionnelle. Ils ont une certaine liberté d’esprit. Peut-être qu’on va développer davantage de performances chez eux en les faisant lire.
Couleurguinee.com : comptez-vous organiser cette activité uniquement pour le 07 novembre, où doit s’étendre à d’autres éditions pour les années à venir?
Marie Paul Huet : Alors, l’idée, c’est que ça puisse être pérennisé. Il y a des prix dans d’autres pays qui durent pendant plusieurs années, un an, deux ans, dix ans, vingt ans. Le prix Nobel, c’est depuis la Première Guerre mondiale. Donc, ça peut durer longtemps si, dans le pays, on est intéressé par le prix, si le ministère de l’Éducation et le ministère de la Culture se rendent compte que le résultat de ce prix, c’est de stimuler les ventes.
Économiquement, c’est intéressant. Si je vous dis qu’en France, pour un prix Goncourt, c’est plusieurs centaines de milliers d’exemplaires qui sont édités pour le livre qui a obtenu le prix. Il n’y a pas besoin d’avoir de l’argent à côté. On gagne des droits d’auteur en vendant le livre à un très grand nombre d’exemplaires. Je ne pense pas qu’on arrive à de tels tirages en Guinée. Il n’y a pas encore suffisamment de lecteurs. Mais ça peut être un stimulant économique important. Si ça fonctionne, que le ministère de la Culture, que le ministère de l’Éducation et que le ministère de l’Économie voient un résultat positif là-dedans, il est possible que ça puisse se pérenniser naturellement.
Couleurguinee.com : Quels sont les critères de sélection des établissements, et le choix des élèves pour participer à ce concours du prix littéraire ?
Marie Paul Huet : Donc là, il y a eu d’abord un appel d’offres avec un de nos partenaires, l’Organisation pour la Culture et la Francophonie, l’’Organisation guinéenne pour la Culture et la Francophonie. Donc ce sont les partenaires du CELPAC sur ce prix. Et Aguibou Sow qui est leur animateur principal, travaille avec des professeurs de français depuis de nombreuses années. Si vous avez suivi les activités qu’il y a eu une année au centre culturel, c’était la mise en scène de textes lus par les élèves, mis en scène à l’intérieur du collège. Et c’était un concours entre les collèges.
Là, il ne s’agit pas d’un concours entre les lycées, mais on s’est adressé à des professeurs qui avaient l’habitude de travailler avec des élèves en dehors du strict programme, ça c’était important, et qui étaient volontaires. Donc il y a eu un appel de ce côté. Et puis quand on a annoncé le prix, il y a eu des demandes d’établissements qui m’ont dit » nous ça nous intéresserait, comment on fait pour s’inscrire ? » Donc là, on leur a proposé de se joindre aux enseignants et aux établissements qui avaient déjà été sélectionnés.
Couleurguinee.com :vous avez piloté des événements littéraires à Conakry, avec les organisations à caractère littéraire comme les Editions Ganndal, le CCFG et notamment en France avec des bibliothèques, alors le concours ‘’prix lycéen guinéen’’, est une première, quelle est la particularité de ce concours par rapport aux autres activités que vous avez eues à organiser à Conakry ?
Marie Paul Huet : La grande activité que j’avais organisée, c’était les défis lecture, c’est-à-dire une compétition entre des établissements scolaires, que ce soit du primaire ou du secondaire. Ils lisaient un certain nombre de livres, comme là, mais ils se posaient des questions sur les livres. Et c’était eux qui se posaient les questions, qui les inventaient, qui y répondaient. Et la compétition, elle était entre deux classes, celle qui avait plus de points gagnait. Et il y avait plusieurs manches jusqu’à une finale.
Tel n’est pas le cas avec le prix littéraire des lycéens guinéens. Ce n’est pas du tout une compétition entre les lycées. En fait, les lycéens, les lycées sont complémentaires les uns des autres.
On a dix lycées, pour commencer, c’est petit, mais il faut un début, avec 20 élèves dans chaque lycée, ce qui fait un total de 200 élèves, qui vont lire avec leur sensibilité. Et ce sont eux qui sont les jurys. Ce sont eux qui vont juger les auteurs et les romans. Ils vont dire, oui, ce roman nous plaît, non, ce roman ne nous plaît pas. Au moment du vote, ils vont exprimer leur point de vue personnel. Donc, ils ne sont pas en compétition. Il ne s’agit pas non plus de savoir quel est le lycée qui a bien voté ou pas. Non, il n’y a pas de bon vote ou de mauvais vote. Ils ont voté et ils ont fait ressortir un livre. Et ce livre, à un prix. C’est l’auteur qui va être primé d’un chèque de 5 millions de francs guinéens, et ce prix revient à l’auteur.
Et les élèves n’auront rien, parce que ce n’est pas le but. Ce n’est pas qu’ils soient en compétition. Ce sont eux les juges, les jurés de la compétition entre les auteurs. Et les auteurs n’ont pas choisi d’être en compétition. Ce sont les éditeurs qui les ont proposés. Et c’est un comité de sélection indépendant qui les a choisis. Et là, dans ce comité de sélection, il a choisi les livres en fonction de certains critères.
Il fallait que ce soit un roman. Donc tout ce qui n’était pas roman est éliminé. Il fallait que le thème soit un thème qui puisse intéresser les lycéens. Et entre plusieurs romans, ils ont choisi les plus intéressants. Pour des lycéens. Ça ne veut pas dire les plus intéressants en soi. Mais pour des lycéens, ils ont choisi ce qu’ils pensaient être le plus intéressant. Ce sont des gens qui ont l’habitude de travailler avec des lycéens qui étaient dans ce comité de sélection.
Couleurguinee.com : vous avez prévu de projeter la première phase de ce concours dénommée « Prix lycées Guinéen’, comment procéder pour annoncer les couleurs?
Marie Paul Huet: Alors, on a travaillé en partenariat avec l’Association des éditeurs de Guinée (ASSEGUI) et avec Aliou Sow, qui organise le salon du livre jeunesse. Ce qui nous semblait important, c’était que ce prix s’inscrive dans un événement littéraire. Il y en a deux en Guinée qui sont vraiment très, très importants. Deux salons du livre. Il y a le salon du livre jeunesse au mois de novembre et les 72heures du livre au mois d’avril. Donc, on a choisi de le faire commencer en novembre. C’est juste après la rentrée scolaire. Et le faire se terminer au mois d’avril, pendant les 72 heures du livre, c’est la journée mondiale du livre. On commence avec la journée de l’écrivain africain, le 7 novembre, et on termine vers le 23 avril avec la journée mondiale du livre.
Couleurguinee.com : Quelles sont les dispositions prises pour réussir cet événement ?
Marie Paul Huet: On a déjà commencé, depuis le mois d’avril dernier, à sélectionner les livres qui allaient être mis en compétition. Ça, c’est le travail qui ne se voit pas. Aujourd’hui, on avait une formation avec les enseignants qui vont encadrer les lycéens. Donc, il fallait voir avec eux comment ils allaient sélectionner les lycéens.
Est-ce que ça va être sur compétences en lecture ? Est-ce que c’était sur le volontariat ? La seule chose qui est certaine, c’est que les lycéens qui s’engagent dans le projet doivent s’engager sur les 6 mois, 7 mois, du mois de novembre jusqu’au mois d’avril, parce qu’il faut qu’ils aient lu les 5 livres pour pouvoir voter valablement. Il fallait comprendre s’ils lisent que la moitié des livres ne peuvent retenir qu’un des 3 livres qu’ils auront lus. Et donc, ça élimine 2 livres comme ça, de façon arbitraire.
Donc, il faut qu’ils s’engagent. Ils ne peuvent pas être remplacés par quelqu’un d’autre, parce qu’il faut avoir lu les 5 livres. Donc, ça, c’est un engagement personnel des lycéens.
Et le travail des enseignants ne sera pas de les guider dans la lecture, mais de les faire réfléchir sur les livres à partir de critères qu’on a définis aujourd’hui sur la construction de l’histoire, sur les personnages, sur le style, etc. Des éléments que les élèves peuvent repérer dans un livre. Ils ont l’habitude de faire ça en français, mais qu’ils vont appliquer à d’autres livres qui ne sont pas du programme.
Couleurguinee.com : Alors, Mme Marie-Paul, vous avez eu à parcourir la France. Vous avez organisé évidemment des activités là-bas. Vous avez organisé des activités littéraires en Guinée aussi. Comment peut-on évaluer le niveau ou les habitudes de lecture dans ces deux pays en pourcentage ?
Marie Paul Huet : Je pense que c’est compliqué de comparer deux pays qui parlent la même langue, mais pour qui ce n’est pas forcément de la langue maternelle. Un enfant qui naît en France, qui entend parler français depuis sa naissance, qui va être entouré de livres parce que le livre est quand même très, très généralisé. Il a beaucoup plus de facilité pour rentrer dans la lecture et pour lire qu’en Guinée où l’environnement des livres est quand même très rare dans les familles. Ça commence à se faire, mais c’est très récent. Les enfants ne parlent pas le français à la maison. Ils le découvrent à l’école.
Or, la littérature, elle est écrite, le plus souvent en français, pas dans les langues nationales parce que les langues nationales ne sont pas lues par les enfants. Donc, on a deux situations qui sont extrêmement différentes. Donc, on ne peut pas comparer le pourcentage de lecture.
C’est sûr que les enfants français lisent beaucoup plus qu’ici, mais on a les mêmes décrochages à l’adolescence. On a les mêmes baisses de niveau scolaire qu’ici en fin de primaire. On a beaucoup de difficultés qui sont similaires.
Mais je pense qu’il y a une curiosité en Guinée qu’on n’a peut-être pas en France. Il y a une envie de découvrir et pour les jeunes lycéens, je crois que les lycéens, là, commencent à être motivés vraiment par les études. Ils ont passé beaucoup d’années difficiles.
Ils sont grands maintenant. Ils sont plus mûrs. Et donc, ils sont plus volontaristes pour faire les choses. C’est pour ça, je pense que ça peut vraiment bien marcher avec des lycéens. Ça aurait été plus compliqué avec des collégiens. Peut-être.
Je ne peux pas vraiment le dire parce que je n’ai pas de chiffres. Mais de mon point de vue d’expérience, ce que je vois en Guinée quand on faisait les défis lecture, il y avait une vraie motivation des lycéens. Je ne sais pas si j’aurais eu la même dans les bibliothèques où je travaillais en France.
On avait un décrochage de la lecture à l’adolescence. Et il fallait vraiment trouver des livres passionnants avec beaucoup d’aventures, de la science-fiction pour les accrocher. Sinon, ils ne venaient pas aux livres.
Alors qu’ici, on leur propose des histoires sociales qui mettent leur vie en scène, dans lesquelles ils se reconnaissent. Ça les intéresse, ça les fait réfléchir. Ils ont cette ouverture qu’on n’a peut-être pas en France.Ils sont moins blasés.
Couleurguinee.com: dites-nous, comment peut-on amener les jeunes à s’intéresser beaucoup plus à la lecture qui est devenue aujourd’hui une préoccupation pour de nombreuses personnes?
Marie Paul Huet: Il faut leur proposer des livres très tôt. Dès la petite enfance. Il faut que l’enfant sache qu’on peut prendre un livre, regarder les images quand on est tout petit.
Il y a des images dans les livres. Il y a des choses à comprendre. On n’a pas besoin de parler pour les comprendre. Des scènes, on voit un monsieur, une dame, un enfant. On sait que c’est probablement un papa, une maman et son enfant. Et l’enfant, même s’il n’a pas les mots, sait. Voilà. Donc, très petit, un enfant peut s’intéresser aux images d’un livre. C’est une façon de les accrocher. Après, si dans les écoles, il y a des livres, je pense que les enfants ont de la curiosité. Moi, j’ai vu qu’on avait tenté l’expérience des bibliomalles, c’est-à-dire des malles de livres qu’on mettait, qu’on offrait aux écoles. Les enfants qui avaient les livres dans ces malles venaient se ruer sur les livres pour les regarder, pour les lire.
Et ils étaient vraiment heureux. Je me souviens d’une école où la directrice disait « Ah, le jour de la malle, on n’a pas de chômage chez les enfants. Ils sont tous présents.» Voilà, parce que ça les motive. Donc, je pense que si on propose des livres aux enfants, ça les intéresse parce qu’ils sont curieux. Et du coup, quand ils découvrent qu’il y a des histoires qui sont accessibles, qu’ils parlent d’eux, donc qu’ils peuvent s’identifier aux personnages du livre ou qu’ils les font rêver, ce n’est pas leur aventure, mais ça pourrait leur arriver, ça serait bien.
Donc, si on leur propose des histoires qui les intéressent, ils ont envie de les lire pour comprendre, pour aller jusqu’au bout. Et pour les étudiants, les élèves, c’est pareil.
Propos recueillis et transcrits par Fodé Touré pour couleurguinee