Aimé Ntumba Kakolo, le représentant de l’ONU Droit de l’Homme en Guinée, Aminata Bangoura, la Directrice nationale des droits de l’homme et Aboubacar Camara, le président de l’URTELGUI, Union des Radios et Télévisions Libres de Guinée se sont exprimés le samedi dernier sur la notion relative à la protection des droits de l’homme et les défis majeurs liés à la liberté d’expression et la liberté de la presse en Guinée.
La projection d’un film sur la notion relative aux droits de l’homme a marqué le coup d’envoi des débats à l’hôtel Noom. C’était à l’occasion de la commémoration du 76ème anniversaire de la journée internationale des droits de l’homme.
Le modérateur de la rencontre le journaliste Chaikou Baldé animateur de l’émission école guinéenne de la Radio Nationale, également président de l’Alliance des Médias pour les Droits Humains en Guinée a soumis les panélistes aux questions relatives aux mécanismes et pacte nationaux et internationaux en matière des droits de l’homme et les protections des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme.
Le représentant du bureau ONU Droit l’homme en Guinée, dans son intervention a fait savoir que la Guinée est l’un des pays qui a presque ratifié tout le corps fondamental des instruments internationaux des droits de l’homme.
« Sur les neuf conventions internationales, la Guinée a ratifié huit. Il reste une convention. Malheureusement, on commence à constater plusieurs cas dans ce sens. C’est la convention sur la disparition forcée que la Guinée n’a pas encore ratifiée. Sur la base déjà de ces instruments que la Guinée a ratifiés, il y a un système de mécanismes internationaux de protection qu’on appelle les organes de traité ou le comité de suivi qui découle de chaque convention. Et à ces conventions ou à ces comités, ils font souvent des recommandations. Chaque État membre de ces conventions est obligé périodiquement de produire un rapport et de le défendre en demandant de quelle manière l’État est en train de faire un effort pour assurer la protection des droits de l’homme dans des secteurs différents » a-t-il expliqué.
Il a pris l’exemple sur le cas spécifique de la liberté de presse en Guinée qui, aujourd’hui est en danger.
« Spécifiquement, par rapport à la question des journalistes, nous avons le pacte international relatif aux droits civils et politiques à son article 19 sur la protection de la liberté d’expression. Mais ce pacte prévoit aussi certaines dispositions spéciales en termes de devoirs. La liberté d’expression, oui, telle que le journaliste doit chercher l’information, traiter divulguer, et partager. Mais de cette obligation découlent certaines exceptions qui sont prévues dans ce pacte. Notamment, il ne doit pas porter atteinte à l’honneur des personnes concernées, telles que la diffamation et ainsi de suite. Mais en même temps, il prévoit certaines restrictions. Mais, ces restrictions doivent expressément être prévues par une loi. Et ces restrictions doivent être nécessaires. Dans le cas contraire, vous portez déjà atteinte à cette liberté d’expression. À cela, je peux donner l’exemple, si vous allez avec l’état de siège, par exemple. Il y a la possibilité que certaines restrictions soient prises pour éviter qu’à travers les médias, on puisse faire la propagande, par exemple, de la guerre. Là, l’État a le droit de restreindre. Mais tout cela doit d’abord être prévu par la loi sur la liberté d’expression. Dans le cas contraire, on porte déjà atteinte à cette loi-là. Ça, c’est déjà uniquement avec le pacte. Mais, le journaliste s’attaque à l’individu, bénéficie de tout ce qui est protection qui est prévue. C’est vrai qu’il y a maintenant des spécificités en fonction du rôle du jour, tel que le journaliste, l’activiste.Nous tous, on a la liberté d’expression. Mais on a souvent tendance à dire que la liberté d’expression concerne seulement le journaliste. Pas du tout. C’est tout homme, tout humain. Il peut chercher à avoir l’information et le divulguer. Et d’ailleurs, aujourd’hui, les réseaux sociaux nous facilitent la tâche.On n’a pas besoin d’être journaliste pour divulguer quelque chose. On n’a pas besoin d’être journaliste pour partager certaines informations. Et donc, aujourd’hui, on constate de nouvelles catégories qui naissent, qu’on appelle les tiktokeurs, les influenceurs, qui jouent maintenant un rôle presque de journaliste sur certains points. Le blogueur aussi à ce niveau-là. Mais est-ce que l’État a prévu de nouvelles législations au regard de la réalité pour essayer d’assurer la protection aussi bien de cette catégorie qui commence à naître, mais aussi de voir comment éviter de ne pas aller dans certaines situations où une autre partie peut se sentir lésée suite au travail qui est fait par l’autre. Et donc, ça va demander une sorte de symbiose aussi bien de nous qui voulons informer, mais de ceux qui se sentent lésés de savoir quand même qu’il y a certaines règles, certaines procédures qui doivent être mises en place », a-t-il souligné
Le modérateur Chaikou Baldé a interrogé Aminata Bangoura, Directrice Nationale des Droits de l’homme au ministère de la justice sur les différents protocoles d’accord et les textes de loi qui garantissent le respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression.
Celle-ci répond, en expliquant tous les rouages de la loi non seulement en partant des texte de loi se rapportant aux libertés individuelles et collectives. Elle s’est focalisée sur les textes de l’ancien régime démocratique et celui du régime militaire.
« Concernant le droit national, la liberté de la presse est encadrée par différents instruments, notamment la Constitution de la République de Guinée. Pour ce qui concerne la Constitution de la République de 2010, c’est les articles 7 et 10 qui encadrent ce domaine. Et pour la Charte de la Transition, c’est l’article 23 qui garantit la liberté d’expression à tout individu, pas seulement aux journalistes. C’est ce que M. le représentant expliquait tout à l’heure. Le code pénal a encadré aussi tout ce qui concerne la liberté de la presse pour protéger les journalistes, mais aussi protéger les citoyens autres que les journalistes qui pourraient être victimes de discours de haine. C’est en ses articles 306, 307 et aussi 443, parce qu’il faut savoir que tout ce qui est discours de haine ou tout ce qui touche à la discrimination, à la violence envers une personne ou un groupe de personnes est réprimé par ce code. La loi sur la cybercriminalité, elle aussi du 28 juillet 2016, encadre l’utilisation des technologies de l’information et de la communication. Elle inclut des dispositions qui protègent les journalistes, notamment ses articles 25 et 26. Mais il faut citer aussi la loi organique du 22 juin 2010, qui est, elle, totalement sur la liberté de la presse. Donc le droit national, pour répondre à monsieur, le journalisme protège, mais il est aussi protégé. Effectivement, monsieur Tomba a rappelé que, pour les instruments internationaux, la Guinée a ratifié tous les instruments sur neuf, hormis une convention, qui est la convention de protection de toute personne contre les disparitions forcées. Il faut savoir qu’un plaidoyer est actuellement en cours auprès du gouvernement. Mais d’abord, nous faisons un diagnostic, un état des lieux, pour pouvoir avoir des arguments et aller présenter le document au gouvernement. Je ne dirais pas que la Guinée n’est pas prête pour ratifier la convention.Encore faudrait-il présenter au gouvernement, les tenants et aboutissants, pour qu’il puisse nous faire un retour » a-t-elle fait remarquer
Elle a souligné qu’en ce qui concerne la loi d’accès à l’information, lorsqu’il y a eu la prise de responsabilité par le régime militaire, elle dit qu’on leur a présenté tout un arsenal juridique qui n’avait pas été forcément promulgué ou qui était en attente. Donc le diagnostic est en cours. Certains sont déjà publiés.
Aboubacar Camara, le président de l’URTELGUI s’est ’exprimé aussi sur les défis majeurs liés à la liberté de la presse.
«Je dirais tout simplement que le défi de la liberté de la presse aujourd’hui est majeur, non seulement en Guinée, mais aussi à travers le monde. On est souvent appelés à se questionner sur l’impact réel du journalisme international sur la vie des citoyens. A l’image de ce qui se passe un peu partout dans le monde, et la Guinée ne fait pas malheureusement exception, je pense qu’il est important de remettre sur table l’ensemble des lois qui régissent normalement le fonctionnement des médias. Le journalisme en un mot. Je voudrais, pour répondre très précisément à votre question, nous faire un peu l’histoire. En remontant en 2012, il y a eu une étude qui a porté sur près de 60 pays et qui a duré deux ans. Cette étude avait prouvé que l’étude s’appelait le projet « Les mondes du journalisme » », a indiqué Aboubacar Camara
Puis il a fait savoir que cette étude menée avait retenu quatre grandes orientations du journalisme. Il les a expliqué en lien avec les réalités actuelles.
« La première orientation, c’est le rôle de surveillance du journalisme. La deuxième, c’est le rôle de collaboration. La troisième orientation, c’est le rôle d’intervention. Et la quatrième, c’est le rôle d’accommodation. Ces différentes grandes orientations assorties de cette étude qui a pris deux ans résument aujourd’hui, si vous voulez, l’exercice, la pratique même du métier dans le monde. Parce que quand vous prenez la première grande orientation qui est la surveillance, le journalisme, c’est dans cette première catégorie qu’on parle de journalisme comme étant un pouvoir. Un quatrième pouvoir. Et quand vous prenez dans le monde entier, je peux vous citer deux pays, ou un pays même que tout le monde connaît, où ce style de journalisme est pratiqué, c’est les Etats-Unis.
Le journalisme de surveillance, où on fait le commentaire de l’actualité politique. On ramène sur l’échiquier l’actualité politique. On conscientise, on amène les populations à s’intéresser aux actualités politiques.
Et lorsqu’il y a des dépassements sur l’exercice de ces réalités politiques, ces journalistes appelés les journalistes de surveillance doivent monter au créneau pour dénoncer, pour interpeller. Pourquoi je le rappelle ? Parce qu’il est important aujourd’hui que nous comprenions ces différentes catégorisations de journalisme dans sa pratique. Parce que ça pose problème. Tantôt, on rappelait que la Guinée, il faut le dire, est un bel exemple. Mais est-ce que je dois dire un bel exemple sur papier ? En termes d’arsenal juridique, encadrant l’exercice du métier de journaliste, je peux dire sans aucun risque de me tromper que la guinée est un bel exemple. Pour le moment, on peut dire sur papier.Parce que si nous parvenons à mettre en exergue ne serait-ce que 50% de tout cet arsenal juridique, la Guinée peut être citée comme référence dans la sous-région. La deuxième catégorisation qui est le journalisme de collaboration. Dans cet autre registre, vous avez effectivement des journalistes qui sont des journalistes professionnels. Il est important de le comprendre. Pour les citoyens qui sont journalistes professionnels mais qui travaillent auprès de l’État, de leur pays, ils accompagnent l’État dans sa communication, accompagnent l’État dans la mise en œuvre des différentes réformes. Et les deux dernières, peut-être on va revenir là-dessus, le journalisme d’accommodation, qui est plus ou moins répandu en Guinée aujourd’hui, c’est le journalisme du soft. Servir ce qu’on demande. Ce que le peuple, le citoyen réclame, tu lui donnes exclusivement cela. », a expliqué Aboubacar
Le modérateur Chaikou Baldé, lui a demandé s’ily a aujourd’hui des menaces qui empêchent l’épanouissement de la liberté de la presse et d’expression.
Il répond:
« La menace sur la liberté de la presse a toujours existé. Vous savez, c’est ce qu’on est en train de dire. C’est un combat continuel. C’est pourquoi tous les jours, nous essayons, tant bien que mal, d’adopter d’autres règles, d’autres règlements, en vu justement de conscientiser en amont les journalistes dans l’exercice de leur métier. Parce que quelqu’un l’a dit. Est-ce que le journaliste doit protéger ? Oui. Il doit protéger les droits. Est-ce que le journaliste doit être protégé ? Oui. En amont, le journaliste doit être protégé. Parce que la liberté de la presse ne concerne pas que le journaliste. La liberté de la presse concerne tous les citoyens. Donc la capacité pour un journaliste de faire librement son travail, de tendre le micro, d’aller à la recherche de l’information. Vous avez tantôt rappelé la loi 20-20 sur le droit d’accès à l’information publique, qui n’est jusqu’à présent pas promulguée, qui doit normalement contraindre et doit avoir des mesures de coercition vis-à-vis de tout détenteur d’une parcelle de responsabilité publique vis-à-vis des citoyens. Ce citoyen peut être un journaliste, tout comme il peut être un citoyen lambda. Donc les menaces concernant la liberté de la presse ont toujours existé, et ça existe en Guinée. Ce qui doit être dit, et ce qui doit être fait, c’est d’aller à la rencontre, bien sûr, comme on le demande aujourd’hui, des autorités, pour que nous puissions discuter de l’ensemble de ces éléments. Il est important pour nous de comprendre quelle est l’orientation que les autorités veulent donner à la conduite de la source publique. Et lorsqu’on comprend cela, comme j’étais en train de vous parler des grandes orientations, de près de 60 pays, les États-Unis, la France, l’Ukraine, tout ce que vous connaissez comme grande démocratie, ont participé à ces études, et ces études ont prouvé, effectivement, que dans tous ces pays, vous avez la pratique de ces quatre grandes orientations. Et les quatre grandes orientations ne s’annulent pas. C’est-à-dire que, dans un pays, vous pouvez voir, il y a effectivement la pratique du journaliste de surveillance, vous avez aussi la pratique du journaliste d’accommodation. Donc, les menaces sont réelles. Mais tout ce que je dis, est-ce que nous autres journalistes, est-ce que les autorités, est-ce que les citoyens savent réellement que la menace sur la liberté de la presse est une menace générale, pas que sur la personne du journaliste, parce que le travail de l’information, qui est considéré en ce 21ème siècle comme la nourriture la mieux partagée, la plus consommée, et on le dit, le manque d’information crée la confusion. Et c’est le journaliste, quelqu’un le disait, vous avez un rôle qui ne peut pas être récompensé, parce que vous avez votre bouche dans les affaires des gens. C’est vrai, mais est-ce que, réellement, cette connotation qu’on donne à ce rôle de journaliste, je pense que le journaliste a pour rôle d’aller recueillir l’information, la traiter, contrairement au journalisme citoyen qui naît maintenant à travers les influenceurs entre guillemets, le journaliste, quant à lui, est encadré par ce qu’on appelle sa déontologie, par ce qu’on appelle l’éthique. Et je finis là, Bertrand a dit que la déontologie, dans l’ensemble et dans le jargon journalistique, c’est une science, et cette science, c’est la science des devoirs. Donc le journaliste le sait, et quand il est en train de traiter l’information, il sait que son information ne doit pas créer de problème. Il sait que son information n’a pas pour vocation de troubler l’ordre public. Et c’est ce qu’on dit aux journalistes. Et aucune information ne vaut la vie d’un homme » a dit Aboubacar
La modératrice, Hadjiratou Bah, également défenseur des droits de l’homme a Interrogé la Directrice nationale des droits de l’homme et le président de l’URTELGUI sur les mécanismes de loi et de traitement de l’information à travers les outils technologiques.
En premier lieu, Aminata Bangoura explique ce qu’il y a lieu de savoir.
«Tout dépend de l’acte qui a été fait. Disons qu’un journaliste, on reconnaît un journaliste par sa carte professionnelle. Donc, un journaliste qui a une carte professionnelle et qui émet sur les réseaux sociaux reste un journaliste. S’il n’a pas de carte professionnelle et qu’il émet sur les réseaux sociaux, ça reste un influenceur, un blogueur. Il n’est pas journaliste. Le journaliste a un devoir de déontologie et d’éthique. Donc, quand il publie une information, elle doit être vérifiée au préalable. C’est ce qui fait aussi la différence entre un journaliste et le citoyen lambda qui va avoir une information et la publier sans vérification. Donc, les deux lois s’appliquent, que ce soit la loi sur la cybercriminalité ou la loi sur la liberté de la presse. Tout dépend de l’acte que le journaliste aura effectué et de l’appréciation du juge et du fait sur lequel il sera poursuivi », a-t-elle souligné.
Et pour être complet sur la question, le président de l’URTELGUI dit qu’en droit c’est la forme qui conduit au fond.
« Un juge, quand il est saisi d’une question de journaliste qui a fait un travail sur sa page Facebook, le juge, d’abord, la première question qui se pose, quel est le support utilisé ? Parce que, lui, la question de savoir le support qui a été utilisé par le journaliste est une question prépondérante pour le juge. Parce qu’à travers cette simple question, il peut déjà savoir si je dois aller sur la loi sur la liberté de la presse, la presse L002, ou sur la loi sur la cybercriminalité et la protection des données à caractère personnel »,
Et Aboubacar Camara a exhorté les journalistes à être très prudents sur les réseaux sociaux et à éviter toutes bavures si possible. Bien que ce sont des outils qui aident les journalistes dans la pratique du métier. Il a dit qu’il y a du journalisme citoyen même s’il s’oppose foncièrement à cette appellation.
Par Fodé Touré pour couleurguinee