Lancement officiel du Switch National Monétique et digital : une réforme salutaire mais qui nécessite d’énormes prérequis.

L’économiste Safayiou Diallo revient dans cette plume sur les enjeux du Switch National officiellement lancé par les autorités monétaires 

La Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG) vient d’officialiser le lancement du Switch National Monétique et Digital ce mercredi 15 janvier 2025. Ce projet vieux de plusieurs années avait été annoncé par l’ancien Gouverneur Dr Louceny Nabé lors d’une émission télévisée en 2021. Suivant un communiqué de presse diffusé le 13 janvier 2025 par la BCRG, le Switch National Monétique et Digital est « une plateforme qui vise à transformer le paysage des paiements électroniques et à renforcer l’inclusion financière à travers tout le pays ». Pour elle, cette plateforme a été conçue pour assurer l’interconnexion des différents acteurs de l’écosystème financier.

A travers cette plateforme, certaines transactions seront effectuées à partir des téléphones mobiles et cartes électroniques sans utilisation d’un Terminal de Paiement Electronique (TPE) etc. La monnaie sera ainsi transmise d’un utilisateur à un autre tout en permettant aux agents économiques d’effectuer des paiements quotidiens en temps réel, faciles et en toute sécurité. Elle permet également de faire des achats, d’envoyer de l’argent, ou d’en recevoir. Cette innovation mérite d’être saluée et encouragée dans la mesure où nous avons une culture de cash orientée qui ne dit pas son nom.

Des avantages du Switch National Monétique et Digital :

Avec une telle plateforme, l’inclusion financière risque d’être accrue comme annoncé ci-haut car le switch national permet d’étendre l’accès aux services financiers à des populations auparavant exclues du système bancaire, notamment en milieu rural. Les transactions électroniques deviendront ainsi plus faciles et moins coûteuses.

Avec un tel processus, la BCRG mise sur la rapidité car ne nécessitant pas de règlement interbancaire, et donc disponible 24 heures/24, 7 J/7 (paiements en temps réel, donc réduction des délais dans le traitement des opérations financières). Du coup, les paiements seront dématérialisés car depuis l’avènement de la Covid-19, le paiement en liquide a été mis à mal dans la plupart des pays du monde. C’est d’ailleurs cette situation qui a poussé 80% des Banques Centrales de la planète à étudier la possibilité de créer une monnaie digitale dont 10% étaient en phase de pilotage selon la Banque des Règlements Internationaux (BRI, 2019). Aussi, les transactions numériques laissent une trace, ce qui facilite la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent mais aussi une meilleure gestion.

De plus, la gestion de la masse monétaire serait de plus en plus simple avec cette monnaie digitale dont une partie sera numérique. Cependant, comme toute Banque Centrale, la mission principale de la BCRG est de garantir la stabilité financière et la confiance des consommateurs dans les moyens de paiement qui sont mis à leur disposition. Tout ce qui permet des paiements plus pratiques, plus fluides et sécurisés est bon pour l’économie. Par ailleurs, la Banque Centrale devra s’assurer que les moyens de paiement qui seront proposés correspondront aux besoins des consommateurs et aux exigences de sécurité, qui constituent un grand enjeu dans le digital.

Des freins potentiels du Switch National Monétique et Digital :

L’accès au switch nécessite des infrastructures numériques adéquates (réseau internet, terminaux de paiement, etc.). Ce qui fait parfois défaut en République de Guinée surtout dans certaines régions du pays, notamment en milieu rural car, la Guinée ne se résume pas à Conakry uniquement. Ainsi, ce facteur risque d’exclure une partie de la population. A cela s’ajoute, la sécurité des données personnelles et financières qui est d’un enjeu majeur. Des mesures de sécurité robustes doivent être mises en place pour prévenir les cyberattaques mais aussi les cas de fraudes. Étant donné parfois chez-nous l’investissement n’appelle malheureusement pas à l’amortissement, une panne ou une cyberattaque pourraient paralyser l’ensemble du système de paiement, avec des conséquences importantes pour l’économie.

Par ailleurs, la réussite d’une telle mesure dans le cas guinéen reposerait sur la démarche qui serait entreprise par les autorités monétaires car procéder au changement des habitudes de la majeure partie de la population (notamment les personnes âgées) nécessitera une très grande approche en matière de communication surtout que notre taux de scolarisation tourne autour de 45% sauf si elle ne demeure qu’une monnaie interbancaire.

Dans le même sillage, la part des billets thésaurisés dans le grand marché madina de Conakry, jouant ainsi le rôle d’encaisse pour des fins de transaction, est très significative et à tendance à augmenter du jour au lendemain. Cette pratique de cash est tellement ancrée dans les habitudes de paiement des agents économiques qu’il sera difficile de la changer.

Conclusion :

En somme, il ne faudra surtout pas confondre cette réforme à la disparition des espèces de la circulation qui sont d’ailleurs en perpétuelle croissance depuis plusieurs années à observer la circulation fiduciaire à travers les composantes de la masse monétaire tel que décrit dans la Situation Monétaire Intégrée de la BCRG et cela en raison probablement de la croissance économique, la croissance démographique et le taux de bancarisation, qui est encore très faible (entre 10% et 15%). Ce qui démontre naturellement que le cash correspond au moyen de paiement pour la majorité de la population.

Nonobstant, l’émission des billets de banque implique des coûts de fabrication et de gestion. Au-delà de l’institut d’émission, il y a un autre coût qui est supporté par les banques primaires pour la gestion du cash de manière interne afin de satisfaire les besoins des clients à travers ces prestations.

Il serait intéressant de réduire la part du cash dans les transactions car, il ne laisse que peu de traces et favorise le blanchiment des capitaux, la corruption mais aussi la fraude fiscale ne serait-ce que pour les paiements qui ne se font pas via les plateformes mutualisées mises en place par le Ministère du Budget pour la circonstance.

 

Safayiou DIALLO

Economiste.