Dans la foulée des sanctions de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) contre les autorités guinéennes et maliennes issues des coups de force contre les régimes de Conakry et Bamako, la Cour de la CEDEAO a décidé de suspendre tous les recours des citoyens guinéens et maliens. Une telle décision d’une cour ayant vocation d’examiner des violations des droits de l’homme est contraire au droit international des droits de l’homme et constitue un précédent dangereux pour la garantie des droits de l’homme. Notre tribune s’attèlera à le démontrer en présentant le contexte politique qui prévaut en Guinée et au Mali à l’origine des sanctions de la CEDEAO, faire l’économie de la décision de la Cour de justice de la CEDEAO, analyser les fondements juridiques qui consolident notre position tendant à affirmer que cette décision est contraire à la théorie des droits de l’homme et surtout exposer l’impérieuse nécessité d’y mettre fin.
Le contexte politique en Guinée et au Mali à l’origine des sanctions de la CEDEAO
En application du droit de la CEDEAO prohibant les coups d’Etat, la Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement de la CEDEAO a adopté une batterie de sanctions contre la Guinée et le Mali, des sanctions allant jusqu’à la suspension des deux pays de ses instances et le gel des avoirs de leurs dirigeants, entre autres. Jusque là, rien de plus normal, même si plusieurs voix ont dénoncé l’absence de pro activité de l’institution pour prévenir la situation volatile dans ces deux pays, surtout lors de la lutte contre le troisième mandat en Guinée avec son lot de violation des droits de l’homme et de remise en cause de l’ordre constitution initial. Le hic, c’est quand une juridiction vouée, en grande partie, au respect des droits de l’homme décide de sanctionner directement les pauvres citoyens de ces deux pays en leur privant du droit à un recours effectif pour réparer les violations des droits de l’homme.
L’économie de la décision de la Cour de justice de la CEDEAO
Le président de la Cour de justice de la CEDEAO a pris une décision le 30 septembre 2021 suspendant toutes les procédures pendantes devant elle et refusant la recevabilité de toutes procédures nouvelles concernant la Guinée et le Mali. Cette décision prive ainsi les citoyens guinéens et maliens – et toutes les personnes qui y vivent – de la jouissance des droits que leur reconnaissent les conventions internationales ratifiées par les Etats de la CEDEAO dont elle a la charge de faire respecter. Pour rappel, la Cour de justice de la CEDEAO est l’une des juridictions dont le droit applicable est le plus large (elle applique toutes les conventions ratifiées par les Etats membres protégeant les droits de l’homme) et dont l’accès est le plus ouvert (elle n’impose aucune nécessité d’épuiser les voies de recours internes pour recevoir les plaintes concernant les violations des droits de l’homme). Cependant, ces avantages jurent avec la décision objet de cette tribune qui est un précédent dangereux pour la garantie des droits de l’homme.
Les fondements juridiques tendant à démontrer que la décision de la Cour de justice de la CEDEAO est contraire à la théorie des droits de l’homme
Les droits de l’homme sont des droits subjectifs appartenant aux individus. Ce ne sont pas les droits des Etats. Le corpus relève du lex specialis du droit international avec les spécificités qui s’y attachent : des droits de l’individu et non des droits des Etats, des droits indifférent au traditionnel principe de réciprocité, etc. En décidant de suspendre les recours des citoyens guinéens et maliens et par ricochet, les personnes qui y vivent, la Cour de justice de la CEDEAO s’est comportée comme un tribunal de différends entre Etats sur une matière relevant du contentieux des droits de l’homme. Ainsi, c’est à bon droit que plusieurs voix se sont-elles élevées pour remettre en cause cette triste décision de la Cour de Justice de la CEDEAO. Au nombre de ces voix figure en bonne place celle de la Conférence internationale des barreaux de tradition juridique commune (CIB) qui, dans une ferme résolution de son Congrès tenu à Libreville (Gabon), exige « la cessation immédiate de ces violations des droits de l’homme de cette mesure attentatoire aux droits et libertés. »
L’impérieuse nécessité de rapporter la décision de la Cour de la CEDEAO afin de respecter le droit à un recours effectif des citoyens guinéens et maliens
Nous joignons notre voix aux nombreuses autres voix, à triple titre, en notre qualité de citoyen, d’universitaire spécialisé en théorie de droit international et comparé des droits de l’homme et d’avocat afin que la Cour de justice de la CEDEAO revienne sur cette décision préjudiciable aux citoyens guinéens, maliens et autres et contraire à la théorie générale des droits fondamentaux et au droit international des droits de l’homme.
Conakry, le 03 janvier 2022
-Juris Guineensis No 20.
Dr Thierno Souleymane BARRY,
Docteur en droit, Université Laval/Université de Sherbrooke (Canada)
Professeur de droit, Consultant et Avocat à la Cour