De légitimes interrogations sur l’intégration africaine
L’intégration africaine soulève des interrogations légitimes au regard de son maigre bilan. Si on excepte la lutte contre colonisation et le combat contre l’apartheid, la moisson n’est pas abondante. Que l’on pense au mécanisme de sécurité collective en veilleuse, la force africaine en attente qui n’attend même plus, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples qui peine à garder une dizaine d’Etats parties à sa juridiction et j’en passe. Pourtant, sur papier, toutes les institutions d’une intégration politique et économique sont en place. Sur le terrain, la réalité est toute autre. La libre circulation est encore un rêve, le maintien de la paix dépend des apports extérieurs, la dépendance du continent en matière d’alimentation est croissante, etc. Cependant, des potentialités existent pour une intégration africaine réussie.
De perspectives toujours possibles pour une intégration africaine réussie
Pour son émergence, l’Afrique doit orienter ses chantiers vers les directions qui suivent :
.La gouvernance démocratique, la reddition des comptes et le respect des droits de l’homme: Le déficit de gouvernance est le fléau le plus inquiétant qui assaille le continent. La recrudescence des coups d’Etats ces derniers temps est due à la volonté des dirigeants de s’éterniser au pouvoir. Tout en consolidant le Protocole de l’Union africaine en la matière, il faut agir pour prévenir les changements constitutionnels intempestifs à seule fin de s’octroyer des mandats dépourvus de toute légitimité, même revêtus d’un semblant de légalité. Il en va de même également du renforcement de la lutte contre la corruption des dirigeants, corruption qui affecte la jouissance des droits économiques et sociaux des populations à la base. Il est important de continuer le plaidoyer afin que la majorité des Etats africains puisse ratifier le Protocole de Ouagadougou créant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, ratification assortie de la déclaration d’acceptation de sa juridiction pour entendre les plaintes des particuliers.
.La sécurité commune et le règlement pacifique des différends : La sécurité du continent ne doit pas être laissée aux soins d’autres entités. Il est essentiel de trouver des solutions africaines aux problèmes africains. La redynamisation de la force africaine en attente serait salutaire ainsi que les opérations de maintien et d’imposition de la paix sous l’égide des casques blancs de l’Union africaine. Un renforcement du mécanisme de règlement pacifique de différends qui a déjà fait ses preuves en Afrique s’inscrit dans ce cadre également.
.Les infrastructures de base, la libre circulation des biens et des personnes et le marché commun : La meilleure des intégrations est la possibilité pour les personnes et leurs biens de circuler librement du Cap au Caire. Une telle liberté doit s’exercer sans entraves : l’abandon des visas, l’établissement d’un passeport communautaire, la fin des tracasseries aux frontières et autres sont des avenues possibles. Une autre avenue est l’investissement massif dans les infrastructures communes des voies de communication à la fois terrestre, maritime et aérienne : routes côtières, voies transsahariennes, segments ferroviaires, liens maritimes et les compagnies aériennes régionales. Il faut poursuivre avec priorité l’édification de la Zone de libre échange continentale africaine (ZLEC).
.L’agriculture, l’environnement, la santé, la culture et l’éducation : Au prima bord, les terres arables africaines doivent être soustraites du phénomène actuel du « land grabbing », qui consiste à spolier les masses paysannes de la propriété de ces zones agricoles en faveur des multinationales. Ensuite, l’Afrique doit davantage miser sur son agriculture viviriere que sur ses mines pour nourrir sa population. La protection de l’environnement est aussi importante pour agir sur les changements climatiques. La santé et la culture sont deux domaines d’intérêt pour la construction continentale non seulement pour soigner les communautés à la base mais aussi pour protéger le patrimoine culturel africain. Une politique de retour de biens culturels spoliés s’avère plus que nécessaire. L’éducation pour les jeunes est un chantier prioritaire. L’usage des langues nationales africaines doit être systématiques au primaire, dans un premier temps et étendu à tous les autres cycles, dans un second temps. Un effort doit être fait pour déployer sur l’ensemble du continent les modules de l’Université panafricaine qui présente déjà un bilan positif à travers ses instituts existants présentement.
.La voix commune au concert des nations : Le système international actuel, hérité du passé, est inéquitable envers l’Afrique. A cet effet, l’Afrique, forte de ses 54 Etats membres, doit parler d’une seule voix pour revendiquer des reformes du système des Nations unies notamment pour l’obtention d’un siège permanent avec droit de veto d’une part et d’autre part, toujours agir de manière concertée pour défendre les intérêts de l’Afrique au concert des nations.
L’Union africaine (UA) et les unions régionales africaines (CEDEAO, SADC et autres) doivent opérer une mutation profonde en leur sein en passant d’une construction théorique à une édification substantielle de l’intégration africaine en faveur des filles et fils d’Afrique comme le rêvaient les « founding fathers », le 25 mai 1963, à Addis-Abeba (Ethiopie).
Conak
-Juris Guineensis No 32.
Dr Thierno Souleymane BARRY,
Docteur en droit, Université Laval/Université de Sherbrooke (Canada)
Professeur de droit, Consultant et Avocat à la Cour