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L’impossible économie de la justice dans le processus de réconciliation nationale en Guinée (TRIBUNE de Dr Thierno Souleymane BARRY)

Avec le lancement des Assises nationales « Vérité et Pardon » en ce mois d’avril, la Guinée s’engage à nouveau dans un processus de réconciliation nationale. C’est une initiative certes salutaire mais qui fait l’objet d’un certain nombre de critiques de la part de divers acteurs dont certaines demeurent bien fondées notamment la justice. Pour notre part, sur cette même lancée et dans le but de contribution, nous relevons l’absence d’un des éléments clés dont il est impossible de faire économie si on veut réussir un réel processus de réconciliation nationale en Guinée : il s’agit de la place de justice dans un tel processus. Dans la présente contribution, nous nous attacherons d’abord à souligner que la justice a été la pierre angulaire de la réussite de plusieurs processus de réconciliation nationale engagés et réussis ailleurs qu’en Guinée.  Ensuite, nous relèverons l’impossibilité de mettre en sourdine la justice dans ce cadre du présent processus en Guinée. Enfin, nous indiquerons les voies et moyens d’intégration de la justice – qu’elle soit classique ou transitionnelle – pour la réalisation d’un véritable processus de réconciliation nationale en Guinée.

Quelle fut la place de la justice dans les autres processus de réconciliation nationale dans le monde ?

Plusieurs pays du monde ont connu, à un moment donné de leur évolution historique, des périodes tumultueuses, périodes caractérisées par des violations graves des droits fondamentaux de la personne (Génocide au Rwanda, Années de braise au Maroc, Apartheid en Afrique du Sud, Guerre civile au Liberia,…). Pour la poursuite du vivre en commun, ces pays se sont tournés vers des mécanismes de réconciliation nationale (les divers comités Vérité Justice et Réconciliation nationale au Rwanda, en Afrique du Sud, au Liberia,…). Dans tous ces mécanismes, la justice occupait une place prépondérante.. Pour illustrer les propos qui précèdent, on peut citer deux des cas des plus emblématiques, l’Afrique du Sud postapartheid et Rwanda post génocide.

En effet, pendant le système d’apartheid et la lutte menée contre le même système, des atrocités furent commises de part et d’autre. Le Comité Vérité Justice et réconciliation fut installée pour amorcer le processus de réconciliation nationale présidée par Monseigneur Desmond Tutu. A côte des témoignages des auteurs et le pardon des victimes dans le cadre de la justice transitionnelle, plusieurs autres cas furent orientés vers la justice classique comme ce fut le cas de la retentissante affaire concernant Winnie Mandela et d’autres.

Le Rwanda a accordé une place de choix à la justice transitionnelle dans son processus de réconciliation nationale en mettant en place des tribunaux traditionnels, les gacaca, juridictions communautaires ayant permis de juger plus d’un million de coupables. Ainsi, la réussite du mécanisme sud africain est tributaire de la présence de la justice tout au long du processus. Il en est de même que celui rwandais cité aujourd’hui en exemple.

Pourquoi il est impossible d’évacuer la question de justice dans le processus de réconciliation nationale en Guinée ?

De l’indépendance en 1958 à nos jours, les régimes qui se sont succédé en Guinée ont été les auteurs d’un passif humanitaire très lourd en termes de violation des droits de l’homme. Aux  répressions du premier régime avec le camp Boiro, entre autres, se sont succédé d’autres violations graves des droits de l’homme dans le second régime avec les massacres de 1985 et les violences lors de l’engagement du pays dans le processus démocratique des années 1990.

Les régimes qui ont suivis se sont inscrits dans la même veine avec les massacres du 28 septembre 2009 et les infractions graves du dernier régime défunt. Le caractère répétitif de ces violations dénote la prépondérance de l’impunité qui a cours dans le pays. Dans un tel schéma, un processus de réconciliation nationale qui n’inclurait pas la justice est peu viable. L’argument répété ad nauseum selon lequel le recours à la justice aboutirait à la déchirure du tissus social n’est plus tenable car nous n’avons pas connu un système pire que l’apartheid ou le génocide rwandais, deux pays qui ont eu recours à la justice avec un notable succès.

Comment intégrer la justice classique et la justice transitionnelle dans le processus de réconciliation nationale en Guinée ?

La justice doit être au centre du processus de réconciliation nationale en Guinée. Les cas les plus récents de violations des droits de l’homme en Guinée à l’instar des massacres du 28 septembre 2009, des massacres de Zogota et les infractions relatives au troisième mandat continueront de relever de la justice classique. Dans ce schéma, l’ouverture du procès des massacres du 28 septembre 2009 est plus qu’urgente. Egalement, la poursuite et la répression des infractions liées au troisième mandat et autres à travers les tribunaux ordinaires ou dans le cadre d’un tribunal spécial pour la répression des crimes de sang s’inscriraient parfaitement dans le cadre du processus vérité justice réparation et pardon. Les cas les plus anciens de violations graves des droits de l’homme comme ceux du premier régime (Camp Boiro et autres) et ceux du début du second régime (Juillet 1985 et autres), en raison des délais de prescription et pour d’autres raisons, peuvent être orientés vers une instance de justice transitionnelle comme un Comité Vérité Justice Réparation. Ce Comité devrait être une instance technique avec un mandat bien défini et un délai bien déterminé. Le dépôt solennel de son rapport final marquerait l’aboutissement du processus et permettrait de rendre plus effectif le slogan « Plus jamais ça » marquant ainsi fin à l’impunité en Guinée.

Nous osons espérer que la justice, deuxième élément de notre devise nationale, sera au cœur du processus de réconciliation nationale dans notre beau pays, la Guinée.

                                                                                                          Conakry, le 14 avril 2022

-Juris Guineensis No 27.

Dr Thierno Souleymane BARRY,

Docteur en droit, Université Laval/Université de Sherbrooke (Canada)

Professeur de droit, Consultant et Avocat à la Cour

 

 

 

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